Trahie par l’amitié : l’histoire de Claire et Sophie

« Tu me voles, Sophie ? » Ma voix tremble, résonne dans le petit salon où la lumière du soir s’écrase sur les murs défraîchis. Je n’arrive pas à croire ce que je viens de découvrir. Devant moi, Sophie baisse les yeux, triturant nerveusement la manche de son pull. Elle ne nie pas. Un silence lourd s’installe, seulement brisé par le tic-tac de l’horloge de ma grand-mère.

Je revois tout, comme un film qui défile à l’envers. Depuis le lycée, Sophie et moi étions inséparables. Elle était la sœur que je n’avais jamais eue, celle qui m’aidait à sécher mes larmes après les disputes avec mes parents, celle qui partageait mes secrets, mes rêves, mes peurs. Quand elle a perdu son père, c’est chez moi qu’elle a trouvé refuge. Ma mère disait souvent : « Claire, tu es trop gentille, fais attention à ne pas te faire avoir. » Je riais, persuadée que rien ne pourrait briser notre amitié.

Les années ont passé. J’ai trouvé un poste d’infirmière à l’hôpital de Nantes, Sophie a enchaîné les petits boulots. Elle avait du mal à joindre les deux bouts, alors je l’aidais comme je pouvais : un billet glissé discrètement dans sa poche, des courses payées sans rien dire, des week-ends à la campagne pour lui changer les idées. Je ne comptais pas. Pour moi, c’était ça, l’amitié.

Mais il y a trois mois, tout a basculé. Mon père est tombé gravement malade. J’ai dû réduire mes heures au travail pour m’occuper de lui. Les factures se sont accumulées, mon compte en banque s’est vidé à vue d’œil. J’ai demandé de l’aide à Sophie pour la première fois : « Tu pourrais me prêter un peu d’argent ? Juste le temps que ça aille mieux… » Elle m’a regardée avec gêne : « Tu sais bien que je n’ai rien… »

J’ai cru comprendre. Mais quelques jours plus tard, en rangeant mes papiers, j’ai remarqué des retraits suspects sur mon compte. De petites sommes au début, puis des montants plus importants. J’ai cru à une erreur de la banque. Mais en vérifiant les tickets de retrait, j’ai reconnu l’écriture de Sophie sur un reçu oublié dans ma cuisine.

Le choc m’a coupé le souffle. J’ai fouillé dans mes souvenirs : ces moments où elle restait seule chez moi, ces fois où elle me proposait d’aller faire les courses à ma place… Tout prenait un sens nouveau et terrifiant.

Ce soir-là, je l’ai confrontée. Elle n’a pas nié. « Je suis désolée Claire… J’étais désespérée… Je voulais te rembourser… » Sa voix se brise. Je sens la colère monter, mais aussi une tristesse immense. « Tu aurais pu me parler ! Tu étais ma meilleure amie ! »

Elle éclate en sanglots : « J’avais honte… Je voyais que tu donnais tout pour moi, et moi je n’arrivais même pas à m’en sortir… Alors j’ai pris… Je me suis dit que tu ne t’en rendrais pas compte… »

Je reste là, figée. Comment pardonner une telle trahison ? Comment croire encore en l’amitié après ça ?

Les jours suivants sont un enfer. Ma mère me répète : « Je t’avais prévenue… » Mon frère me conseille de porter plainte. Mais je n’y arrive pas. Malgré tout, je me souviens des bons moments avec Sophie, de nos fous rires sur les quais de la Loire, des nuits blanches à refaire le monde.

Je me sens seule comme jamais. À l’hôpital, mes collègues voient bien que quelque chose ne va pas. « Tu veux en parler ? » demande Julie à la pause café. Je secoue la tête. Comment expliquer ce vide ? Cette sensation d’avoir été dupée par la personne en qui j’avais le plus confiance ?

Un soir, alors que je rentre chez moi sous la pluie battante, je croise Sophie devant mon immeuble. Elle tient une enveloppe dans la main. « C’est tout ce que j’ai pu rassembler… Je te rembourserai le reste, je te le promets… »

Je prends l’enveloppe sans un mot. Je vois dans ses yeux qu’elle souffre aussi. Mais quelque chose s’est brisé entre nous, quelque chose d’irréparable.

Aujourd’hui encore, je me demande si j’aurais pu voir les signes plus tôt. Si j’ai été trop naïve ou simplement trop généreuse. L’amitié peut-elle survivre à la trahison ? Peut-on vraiment connaître quelqu’un ?

Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ? Peut-on pardonner une telle blessure ?