Sous le même toit : l’épreuve de vivre avec ma cousine

« Tu pourrais au moins faire la vaisselle, non ? » Ma voix tremble, mais je ne peux plus retenir ma colère. Camille, affalée sur le canapé, lève à peine les yeux de son téléphone. « Je le ferai plus tard, Emma. Détends-toi un peu… »

C’est la troisième fois cette semaine que je rentre du travail et trouve la cuisine dans un état lamentable. Les assiettes s’empilent, les miettes collent au plan de travail, et l’odeur de fromage oublié me prend à la gorge. Je serre les poings. Je n’ai jamais été maniaque, mais depuis que Camille a emménagé chez moi, chaque détail me pèse.

Au début, j’étais enthousiaste. Camille et moi, on a grandi ensemble à Lyon. Petite, elle était ma confidente, celle qui me faisait rire quand mes parents se disputaient. Quand elle m’a appelée en pleurs après sa rupture avec Julien, j’ai tout de suite proposé qu’elle vienne s’installer chez moi à Villeurbanne. J’avais un petit deux-pièces, mais je me disais qu’à deux, on s’en sortirait mieux pour payer le loyer et les courses.

Les premières semaines ont été comme une colocation d’étudiantes : soirées Netflix, pizzas improvisées, confidences sous la couette. Mais très vite, la réalité s’est imposée. Camille ne cherchait pas vraiment de travail. Elle passait ses journées à traîner sur Instagram ou à sortir avec ses amis du lycée. Je payais tout : le loyer, les factures, même ses cigarettes.

Un soir, alors que je rentrais tard après une journée épuisante à la pharmacie où je travaille, j’ai trouvé Camille en train d’organiser une soirée avec ses copains. La musique résonnait dans tout l’immeuble. J’ai explosé :

— Camille, tu te rends compte qu’on est mardi ? J’ai besoin de dormir !
— Oh ça va Emma, tu fais ta vieille ! Viens boire un verre avec nous !

J’ai claqué la porte de ma chambre. Ce soir-là, j’ai pleuré de rage et d’impuissance. Je me sentais trahie. Où était passée la cousine attentionnée que je connaissais ?

Les semaines suivantes ont été un enchaînement de disputes silencieuses et de petits gestes mesquins. Je cachais mon chocolat préféré dans ma chambre ; elle utilisait mon shampoing sans demander. Un matin, alors que je préparais mon café, elle a lancé :

— Tu pourrais être un peu moins radine…

J’ai failli lui jeter la cafetière à la figure.

Le pire, c’est que ma mère prenait toujours sa défense : « Elle traverse une période difficile, Emma. Sois patiente… » Mais qui pensait à moi ? À mes efforts pour joindre les deux bouts ? À ma solitude grandissante dans mon propre appartement ?

Un dimanche après-midi, alors que je faisais les comptes sur mon ordinateur portable, Camille est entrée dans le salon.

— Tu peux me prêter 100 euros ? J’ai un problème avec ma carte bancaire.

J’ai senti une boule se former dans ma gorge.

— Camille, ça fait trois mois que tu ne participes à rien ! Tu crois que l’argent tombe du ciel ?

Elle a haussé les épaules.

— T’es pas obligée d’être aussi agressive…

J’ai éclaté :

— Mais tu ne comprends pas ! Je t’aime, mais tu profites de moi ! Je ne suis pas ta mère !

Elle a claqué la porte et n’est pas rentrée de la nuit.

Ce soir-là, j’ai appelé mon père en larmes. Il m’a écoutée sans juger.

— Parfois, il faut savoir dire stop, Emma. Même à la famille.

Le lendemain matin, Camille est revenue avec les yeux rougis.

— Je suis désolée… J’ai juste peur d’être seule.

J’ai eu envie de la prendre dans mes bras, mais j’étais trop fatiguée.

— Moi aussi j’ai peur d’être seule, tu sais… Mais ce n’est pas une raison pour se détruire mutuellement.

On a parlé longtemps ce jour-là. Pour la première fois depuis des mois, on s’est vraiment écoutées. Camille a promis de chercher du travail sérieusement et de participer aux tâches ménagères. J’ai accepté de lui laisser encore un peu de temps.

Mais au fond de moi, quelque chose s’était brisé. La confiance n’était plus là. Je me suis demandé si on pouvait vraiment réparer ce qui avait été abîmé par tant de non-dits et de frustrations.

Aujourd’hui encore, alors que Camille a finalement trouvé un petit boulot et qu’on partage à nouveau quelques rires complices, je me demande : jusqu’où doit-on aller par amour pour sa famille ? Et vous, auriez-vous eu la force de dire stop plus tôt ?