Silence à Montreuil : Poison dans le couloir et le loup de la solitude

— Capucine ! Non, non, non… pas toi, pas comme ça !

Je hurle dans le couloir, mes mains tremblent sur le pelage de ma chienne. Sa langue pend, ses yeux roulent, et je sens son corps secoué de spasmes. Le carrelage froid du palier me glace jusqu’aux os. Je crie à travers la porte :

— Quelqu’un ! À l’aide ! S’il vous plaît !

Personne ne répond. Les portes restent closes, les regards derrière les judas sont invisibles mais je les sens peser sur moi. J’attrape Capucine dans mes bras, je dévale les escaliers, je cours jusqu’à la rue. Un taxi s’arrête, le chauffeur me regarde avec un mélange de pitié et d’agacement.

— À la clinique vétérinaire, vite !

Le trajet est un flou de sanglots et de supplications. Capucine gémit faiblement. Je serre sa tête contre moi, je murmure :

— Tiens bon, ma belle… Tiens bon…

À la clinique, tout va trop vite. On m’arrache Capucine des bras, on me fait signer des papiers. J’attends dans une salle blanche, glaciale, entourée d’affiches sur la rage et les vaccins. Une vétérinaire s’approche enfin :

— Elle a été empoisonnée. On fait tout ce qu’on peut.

Empoisonnée ? Je sens mon cœur se briser. Qui aurait pu faire ça ? Pourquoi ?

Je rentre chez moi en titubant. Le couloir sent la Javel. Je remarque une flaque suspecte près de ma porte. Je me penche : une odeur âcre, chimique. Mon estomac se retourne. Est-ce là que Capucine a léché ?

Je frappe chez Madame Lefèvre, ma voisine du palier. Elle ouvre à peine la porte.

— Vous avez vu quelque chose ce matin ?

Elle hausse les épaules, détourne le regard.

— Non, rien vu. Peut-être que votre chien a fouillé dans les poubelles…

Je sens la colère monter.

— Capucine ne fait jamais ça ! Quelqu’un a mis quelque chose devant ma porte !

Elle claque la porte sans un mot. Je reste seule dans le couloir, le cœur battant trop fort.

Les jours passent. Capucine survit, mais elle n’est plus la même. Elle tremble dès qu’elle entend un bruit dans le couloir. Moi aussi. Je sursaute au moindre claquement de porte. Je n’ose plus sortir sans vérifier trois fois derrière moi.

Le syndic affiche une note : « Merci de veiller à la propreté des parties communes et à la bonne tenue de vos animaux. »

Je comprends le message : c’est contre moi. Depuis que j’ai recueilli Capucine il y a deux ans, certains voisins n’ont jamais caché leur hostilité. « Les chiens ça pue », « Ça fait du bruit », « Ça salit ». Mais de là à empoisonner un animal ?

Je croise Monsieur Dubois dans l’ascenseur.

— Vous savez, mademoiselle Martin, ici c’est un immeuble tranquille. On n’aime pas les histoires.

Je serre les dents.

— Ce n’est pas une histoire, c’est une tentative de meurtre sur mon chien !

Il lève les yeux au ciel.

— Si vous ne supportez pas la vie en copropriété…

Je sors en claquant la porte de l’ascenseur.

Le soir, j’appelle ma mère à Lyon.

— Tu devrais revenir vivre ici, souffle-t-elle. Là-bas tu es seule…

Mais je ne veux pas fuir. J’ai choisi Montreuil pour son énergie, sa diversité, ses rues vivantes. Mais aujourd’hui tout me semble hostile : les murs tagués, les cris d’enfants dans la cour, même le chant du marchand de glaces me donne envie de pleurer.

Je dors mal. Je fais des cauchemars où Capucine m’appelle à l’aide et où je suis incapable de bouger. Parfois je crois entendre des voix derrière ma porte : « Elle va encore se plaindre », « Elle exagère », « C’est qu’un chien ».

Un soir, je surprends Madame Lefèvre et Monsieur Dubois en train de discuter devant l’ascenseur.

— Elle va finir par partir si on continue comme ça…

Ils se taisent en me voyant arriver.

Je me sens traquée dans mon propre immeuble. Je commence à noter chaque incident : une crotte déposée devant ma porte, des insultes griffonnées sur ma boîte aux lettres (« sale folle à chiens »), des regards fuyants dans l’escalier.

Un matin, je trouve Capucine recroquevillée sous la table, terrorisée par un pétard lancé dans le couloir pendant la nuit.

J’appelle la police municipale. On me répond poliment qu’il n’y a pas de preuve, qu’il faut attraper quelqu’un sur le fait.

Je me sens impuissante. Je pense à déménager mais où irais-je ? Pourquoi devrais-je partir ?

Un dimanche matin, je croise Lucie du troisième étage au marché.

— Tu sais, il y a des gens ici qui n’aiment pas ceux qui ne rentrent pas dans le moule… Moi aussi j’ai eu des soucis quand j’ai voulu installer des plantes sur mon balcon.

Son sourire triste me réchauffe un peu le cœur.

— Tu veux venir prendre un café chez moi ?

Pour la première fois depuis des semaines, je dis oui.

Chez Lucie, on parle longtemps. Elle me raconte ses galères avec le syndic, ses disputes avec Madame Lefèvre qui trouve que ses géraniums attirent les moustiques.

— Ici, il faut être discret… ou alors s’accrocher fort à ce qu’on aime.

En rentrant chez moi ce soir-là, je caresse Capucine qui dort enfin paisiblement.

Je repense à tout ce que j’ai perdu : la confiance en mes voisins, la tranquillité d’esprit… Mais aussi à ce que j’ai gagné : une amie inattendue, une force nouvelle pour défendre ce qui compte pour moi.

Je regarde par la fenêtre les lumières de Montreuil qui clignotent dans la nuit.

Est-ce qu’on peut vraiment se sentir chez soi quand on vit entouré d’indifférence ou d’hostilité ? Ou bien faut-il se battre pour transformer la peur en solidarité ? Qu’en pensez-vous ?