Si Ma Fille Retourne Chez Son Mari, Elle Peut M’Oublier : Le Choix Impossible d’une Mère Française
« Si tu franchis ce seuil pour retourner chez lui, Camille, tu peux m’oublier. » Ma voix tremble, mais je ne recule pas. Camille, debout dans l’entrée, serre son sac contre elle comme un bouclier. Ses yeux rougis cherchent les miens, implorants. « Maman… tu ne comprends pas… Il a changé, il me l’a promis. »
Je ferme les yeux un instant. Les souvenirs affluent : les coups de fil nocturnes, les larmes silencieuses dans sa chambre d’adolescente, les bleus qu’elle cachait maladroitement sous ses manches longues même en plein été. Depuis trois ans, je vis avec la peur au ventre. Camille a épousé Julien, un garçon du quartier, charmant en apparence mais dont le sourire s’effaçait dès que la porte se refermait derrière eux.
« Tu dis ça à chaque fois, Camille ! Chaque fois, tu reviens ici en pleurs, et chaque fois tu repars en croyant à ses promesses. Tu crois que c’est ça, l’amour ? »
Elle baisse la tête. Je vois ses mains trembler. Je voudrais la prendre dans mes bras, lui dire que tout ira bien, mais je sens une colère sourde monter en moi. Pas contre elle, non. Contre ce système qui ferme les yeux, contre Julien et ses excuses minables, contre moi-même aussi. Ai-je raté quelque chose dans son éducation ?
Mon mari, Bernard, reste silencieux dans le salon. Il n’a jamais su comment gérer ces crises. « Laisse-la faire ses choix », répète-t-il. Mais comment rester passive quand sa propre fille se détruit sous vos yeux ?
Camille s’approche de la porte. « Je dois essayer encore une fois… Je l’aime, maman… Tu ne peux pas comprendre… »
Je sens mes jambes fléchir. Je me revois jeune mère, tenant ce petit être fragile dans mes bras à la maternité de Nantes. Elle était si douce, si sensible. Toujours à vouloir faire plaisir aux autres. Peut-être trop.
« Camille, écoute-moi bien. Ce n’est pas ça l’amour. L’amour ne fait pas mal. L’amour ne te fait pas pleurer tous les soirs. L’amour ne te fait pas douter de ta valeur. »
Elle secoue la tête, les larmes coulant librement sur ses joues. « Mais il a promis de changer… Il va voir un psy… Il m’a offert des fleurs… »
Je ris nerveusement. « Des fleurs ? Et après ? Un cercueil ? Tu veux finir comme la voisine du troisième ? Tu te souviens de Sophie ? Elle aussi croyait qu’il allait changer… On a retrouvé son corps dans la cave ! »
Un silence glacial s’installe. Bernard se lève enfin et pose une main sur mon épaule. « Françoise… »
Je me dégage brusquement. « Non Bernard ! Cette fois c’est trop ! Je ne veux plus être complice de cette mascarade ! Si elle retourne chez lui, elle peut m’oublier ! Je ne veux plus voir ma fille mourir à petit feu ! »
Camille ouvre la porte. Un courant d’air froid envahit le couloir. Elle hésite sur le seuil, puis se retourne une dernière fois : « Je t’aime maman… Mais je dois y aller… »
La porte claque. Le silence retombe comme une chape de plomb.
Je m’effondre sur le canapé, le cœur en miettes. Bernard s’assoit à côté de moi sans un mot. Je sens sa main trembler dans la mienne.
Les jours passent. Pas de nouvelles de Camille. Je scrute mon téléphone toutes les heures, espérant un message, un signe de vie. Les voisins murmurent dans l’ascenseur : « La pauvre Françoise… Sa fille est retournée chez ce type… »
Un soir, alors que je rentre des courses sous la pluie battante, je croise Madame Lefèvre du quatrième. Elle me lance un regard compatissant : « Vous savez, Françoise… On ne peut pas sauver ceux qui ne veulent pas être sauvés… Mais il faut rester là quand ils reviennent… »
Je rentre chez moi, lasse et vidée. Bernard regarde le journal télévisé sans vraiment écouter. Je m’assois face à la fenêtre et regarde les lumières de la ville s’allumer une à une.
Et si Camille ne revenait jamais ? Et si mon ultimatum l’avait poussée encore plus loin dans les bras de son bourreau ? Ai-je fait le bon choix ?
Une semaine plus tard, il est deux heures du matin quand on frappe à la porte. J’ouvre en tremblant : Camille est là, hagarde, le visage tuméfié.
« Maman… Je n’ai nulle part où aller… Tu avais raison… Je suis désolée… »
Je la serre contre moi de toutes mes forces.
Aujourd’hui encore, je me demande : ai-je eu raison d’être aussi dure ? Où est la limite entre protéger et étouffer ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?