Seule sous la pluie : Mon histoire d’abandon et de renaissance
« Tu ne comprends donc rien, Camille ! » La voix de Julien résonne encore dans l’entrée, sèche, tranchante comme un couteau. Je serre mon ventre arrondi, instinctivement, comme pour protéger ce petit être qui n’a rien demandé. Il attrape sa veste, claque la porte. Un silence assourdissant s’abat sur l’appartement. Je reste là, figée, incapable de pleurer. Je suis enceinte de six mois et l’homme que j’aimais vient de partir.
Les jours suivants sont flous. Je me traîne dans notre deux-pièces du 18e arrondissement, les rideaux tirés, le téléphone muet. Ma mère, Françoise, m’appelle sans relâche. « Camille, tu ne peux pas rester seule dans cet état ! Viens à la maison. » Mais je n’ai pas la force d’affronter son regard inquiet, ni celui de mon père, Michel, qui n’a jamais vraiment accepté Julien. Je me sens coupable, honteuse. Comment ai-je pu en arriver là ?
Le soir, je m’assois sur le rebord de la fenêtre et regarde les lumières de Paris. J’entends encore les mots de Julien : « Je ne suis pas prêt à être père. Tu m’étouffes avec tes angoisses ! » Pourtant, il avait souri en voyant la première échographie. Il avait caressé mon ventre en murmurant des promesses. Où est passé cet homme ?
Un matin, alors que je tente de me forcer à avaler un bol de café au lait, ma sœur Alice débarque sans prévenir. Elle pose un sac de courses sur la table et me serre fort dans ses bras. « Tu n’es pas seule, tu m’entends ? » Sa voix tremble mais elle se veut forte pour deux. Elle prépare des tartines, ouvre les volets. La lumière du jour me fait mal aux yeux.
« Tu devrais parler à Maman », insiste-t-elle. Mais je redoute la conversation. Ma mère est une femme fière, pudique avec ses émotions. Elle a élevé trois enfants presque seule pendant que Papa travaillait à l’usine Renault. Elle ne comprendrait pas que je m’effondre maintenant.
Les semaines passent. Les regards dans la rue me pèsent : une femme enceinte sans alliance, c’est encore mal vu ici. À la pharmacie du coin, la caissière me lance un sourire gêné : « Vous attendez quelqu’un ? » Je hoche la tête sans répondre.
Un soir d’orage, alors que je range quelques affaires de Julien dans un carton, je tombe sur une lettre qu’il m’avait écrite au début de notre histoire : « Avec toi, je me sens capable de tout affronter. » Je m’effondre sur le lit, secouée de sanglots. Pourquoi tout s’est-il brisé ?
À force d’insistance, Alice finit par convaincre mes parents de venir me voir. Le dimanche suivant, ils débarquent avec un plat de lasagnes et des regards lourds d’inquiétude. Papa reste silencieux, les bras croisés sur sa poitrine. Maman s’assied près de moi et prend ma main.
« Camille… Tu sais que tu peux revenir à la maison si tu veux. On sera là pour toi et pour le bébé », souffle-t-elle.
Je sens les larmes monter mais je ravale ma fierté. « Merci Maman… Mais j’ai besoin d’essayer seule encore un peu. »
Papa finit par briser le silence : « Ce Julien… Il n’a pas eu le courage d’assumer. Mais toi, tu l’as ce courage. » Pour la première fois depuis longtemps, je vois une lueur de respect dans ses yeux.
Les mois avancent. Je commence à préparer la chambre du bébé avec Alice. On repeint les murs en jaune pâle, on monte le petit lit en bois que Papa a retrouvé au grenier. Petit à petit, je reprends goût aux choses simples : sentir mon bébé bouger sous ma main, écouter les chansons douces que Maman chantait autrefois.
Mais la peur ne me quitte pas : comment vais-je faire face seule ? Les démarches administratives me submergent – CAF, sécurité sociale, inscription à la crèche… À chaque rendez-vous à la maternité Bichat, je croise des couples main dans la main et je me sens terriblement différente.
Un soir d’insomnie, je décide d’écrire une lettre à Julien. Pas pour le supplier de revenir – cette idée m’est désormais insupportable – mais pour lui dire ce que j’ai sur le cœur :
« Julien,
Je ne comprends pas ton choix mais je l’accepte. Notre enfant naîtra entouré d’amour même si tu n’en fais plus partie. Je te souhaite de trouver ta paix. »
Je ne poste jamais cette lettre.
Le jour où j’accouche – un matin gris de février – Alice est là pour moi. Elle me tient la main pendant que je hurle ma douleur et ma peur dans cette salle blanche et impersonnelle. Quand on pose mon fils sur ma poitrine, je pleure toutes les larmes retenues depuis des mois.
Quelques semaines plus tard, alors que je promène mon bébé au parc des Buttes-Chaumont, une inconnue s’arrête devant moi : « Il est magnifique… Vous êtes toute seule ? » Je souris faiblement : « Oui… Mais il a déjà toute une famille autour de lui. »
Aujourd’hui encore, il m’arrive de douter. Parfois la colère revient ; parfois c’est la tristesse ou l’envie de tout abandonner qui me submerge. Mais chaque sourire de mon fils me rappelle pourquoi je me bats.
Est-ce qu’on peut vraiment tout reconstruire après avoir été brisée ? Est-ce que le courage suffit quand on se sent seule contre tous ? J’attends vos réponses…