Sept nuits blanches : Comment mon mari est devenu un étranger
« Tu comptes rentrer un jour, Thomas ? » Ma voix résonne dans le vide du salon, alors que je fixe l’écran de mon téléphone, espérant un miracle. Sept nuits que je ne dors plus. Sept nuits que Thomas a quitté notre appartement de Lyon pour se réfugier chez ses parents à Annecy, sans un mot d’explication. Il ne répond ni à mes appels, ni à mes messages. Je relis encore et encore notre dernière conversation WhatsApp :
— Je dois prendre l’air. J’ai besoin de réfléchir.
C’est tout. Pas de « je t’aime », pas de « je reviens vite ». Juste ce silence assourdissant qui me ronge chaque nuit.
Camille, notre fille de six ans, dort dans la chambre d’à côté. Parfois, elle se réveille en pleurant :
— Maman, il est où papa ?
Je lui caresse les cheveux, la gorge nouée :
— Il reviendra bientôt, ma chérie.
Mais je n’en sais rien. Je me sens trahie, abandonnée. Ma mère, qui habite à deux rues, passe chaque matin avec des croissants et des conseils dont je me passerais bien.
— Tu sais, Thomas a toujours été fragile. Il est sûrement juste fatigué, il reviendra quand il aura repris ses esprits.
Mais moi, je sens que c’est plus profond. Depuis des mois, quelque chose s’est brisé entre nous. Les disputes pour des broutilles — la vaisselle pas faite, les factures en retard, le bruit des voisins — cachaient une faille plus grande. Un soir, il a lancé :
— Tu ne me regardes plus comme avant. On dirait que tu vis à côté de moi.
J’ai ri nerveusement :
— Et toi ? Tu passes ton temps sur ton portable ou au boulot !
Il a haussé les épaules et s’est enfermé dans le silence. Depuis la naissance de Camille, tout a changé. Nos soirées à deux sont devenues des soirées à surveiller les devoirs ou à plier du linge. La passion s’est dissoute dans le quotidien.
La semaine dernière, tout a explosé. Thomas est rentré tard du travail, les traits tirés.
— Encore une réunion ?
Il a soupiré :
— Tu crois que j’ai envie d’être là-bas ? Tu crois que j’ai envie d’être ici ?
J’ai senti la colère monter :
— Tu pourrais au moins faire semblant !
Il a claqué la porte de la chambre. Le lendemain matin, il n’était plus là.
Depuis, je vis en apnée. Je fais semblant devant Camille, mais la nuit, je tourne en rond dans l’appartement silencieux. Je me demande si j’ai raté quelque chose. Si j’aurais dû voir les signes avant-coureurs : son regard fuyant, ses absences de plus en plus longues, ce sourire triste qu’il esquissait quand il croyait que je ne le voyais pas.
Hier soir, j’ai appelé sa mère. Sa voix était tendue :
— Il dort beaucoup. Il ne parle pas beaucoup non plus… Il dit qu’il a besoin de temps.
Du temps ? Et moi ? Et Camille ? Est-ce qu’on compte encore pour lui ?
Dans la cour de l’école, les autres mamans me regardent avec compassion ou curiosité. Je déteste leurs chuchotements :
— Tu as vu ? Son mari est parti…
Je voudrais leur crier que ce n’est pas si simple. Que personne ne quitte sa famille sur un coup de tête. Que derrière chaque séparation il y a des blessures invisibles.
Ce matin, Camille a dessiné une maison avec trois fenêtres et un soleil immense.
— C’est nous trois ?
Elle a hoché la tête sans sourire.
Je me suis effondrée dans la salle de bain, à l’abri de son regard. Les larmes ont coulé sans bruit. J’ai pensé à tout ce qu’on avait construit ensemble : nos vacances en Bretagne, nos fous rires devant des films nuls, nos promesses murmurées sous la couette… Où est passée cette complicité ? Est-ce qu’on peut vraiment tout perdre en quelques mois ?
Ma mère insiste pour que je sorte prendre l’air.
— Tu ne peux pas rester enfermée comme ça ! Viens marcher avec moi sur les quais.
Mais je n’ai envie de rien. Je me sens vide, inutile. J’ai peur de croiser Thomas par hasard et de ne pas savoir quoi lui dire.
Parfois, j’imagine qu’il va revenir avec un bouquet de pivoines — mes fleurs préférées — et qu’il va s’excuser en pleurant. Mais au fond de moi, je sais que rien ne sera plus jamais comme avant.
Ce soir encore, j’attends un signe. Un message. Un mot d’excuse ou d’amour. Mais mon téléphone reste muet.
Est-ce que l’amour peut vraiment survivre à l’usure du quotidien ? Ou bien sommes-nous tous condamnés à devenir des étrangers sous le même toit ?