Sans Elle : Mon Combat contre la Culpabilité après la Perte de Maman
« Tu n’es jamais là quand il faut, Camille ! » La voix de mon frère Paul résonne encore dans le couloir glacé de l’hôpital de Nantes. Je serre mon manteau contre moi, les doigts tremblants. Je viens d’arriver, trop tard. Maman est partie il y a une heure, seule, pendant que je courais après un train annulé. Paul me fusille du regard, les yeux rouges d’avoir trop pleuré ou trop crié, je ne sais plus.
Je me revois, la veille au soir, hésitant à répondre à son appel. J’étais fatiguée, prise par le travail, et je m’étais dit « demain ». Mais demain n’est jamais venu pour elle. Depuis ce jour, la culpabilité me colle à la peau comme une seconde ombre. Je me répète sans cesse : « Si seulement j’avais décroché… »
Les jours suivants sont un tourbillon de formalités et de silences pesants. Mon père ne parle plus. Il s’enferme dans le salon, les volets clos, regardant en boucle les vieux albums photos. Ma sœur Élodie s’occupe de tout : les fleurs, les papiers, les voisins qui passent déposer des tartes et des mots maladroits. Moi, je flotte, inutile, étrangère dans ma propre famille.
Le soir de la veillée, Paul explose. « Tu crois que maman n’a pas vu que tu l’évitais ? Tu crois qu’elle n’a pas souffert de ton absence ? » Sa voix se brise mais il continue : « Tu étais sa préférée, mais tu n’étais jamais là ! » Je voudrais hurler que ce n’est pas vrai, que j’aimais maman plus que tout, mais les mots restent coincés dans ma gorge. Je m’enferme dans la salle de bains et laisse couler l’eau pour couvrir mes sanglots.
Les semaines passent. Je retourne à Paris, à mon petit appartement du 18ème. Le métro, le bruit, les collègues qui ne savent pas quoi dire. « Courage Camille », « Elle est mieux là où elle est », « Le temps guérit tout ». Des phrases creuses qui me donnent envie de hurler. Je dors mal. Je rêve d’elle chaque nuit : parfois elle me sourit, parfois elle me tourne le dos.
Un dimanche matin, je trouve une lettre dans une vieille boîte à biscuits chez mes parents. L’écriture fine de maman : « Pour Camille ». Mon cœur s’arrête. Je l’ouvre avec des mains tremblantes.
« Ma chérie,
Je sais que tu es prise par ta vie à Paris, et je suis fière de toi. Ne t’en veux jamais de poursuivre tes rêves loin d’ici. Je t’aime telle que tu es. N’oublie pas de vivre pour toi aussi.
Maman »
Je relis ces mots cent fois. Les larmes coulent sans bruit. Mais la culpabilité ne part pas pour autant. Je me demande si elle a vraiment tout pardonné ou si elle a écrit ça pour me rassurer.
À Noël, la famille se réunit sans elle pour la première fois. Le vide est immense. Papa pose son assiette à la place de maman, comme s’il espérait qu’elle allait arriver en retard comme d’habitude. Élodie tente de lancer des sujets légers mais tout le monde retombe dans le silence.
Après le repas, Paul vient me voir dehors sur la terrasse gelée.
— Je t’ai dit des choses horribles…
— Tu avais raison…
— Non. On est tous paumés sans elle.
Il me serre maladroitement dans ses bras. Pour la première fois depuis des mois, je sens un peu de chaleur humaine.
Mais la nuit venue, je repense à toutes ces fois où j’ai repoussé un appel, où j’ai préféré sortir avec des amis plutôt que de rentrer à Nantes pour un week-end en famille. Est-ce qu’on peut vraiment se pardonner d’avoir raté l’essentiel ?
Je commence une thérapie quelques semaines plus tard. La psychologue me dit : « Vous n’êtes pas responsable de tout ce qui arrive aux autres. » Mais comment croire ça quand on a l’impression d’avoir trahi la personne qu’on aimait le plus ?
Petit à petit, je recommence à vivre. J’appelle mon père chaque dimanche même s’il parle peu. Avec Élodie, on trie les affaires de maman : ses foulards colorés, ses carnets remplis de recettes et de listes interminables. On rit parfois en retrouvant ses vieilles blagues ou ses notes absurdes (« Ne pas oublier : acheter du beurre ET du chocolat »).
Un jour d’avril, je retourne seule au cimetière du village. Je m’assois sur le banc face à sa tombe et je parle tout haut :
— Maman… Est-ce que tu m’en veux ? Est-ce que tu savais combien je t’aimais ?
Le vent souffle dans les arbres. Je ferme les yeux et j’imagine sa main sur mon épaule.
Aujourd’hui encore, il y a des jours où la culpabilité me réveille en pleine nuit. Mais j’essaie d’apprendre à vivre avec mes regrets sans qu’ils m’étouffent.
Est-ce qu’on peut vraiment se pardonner d’avoir été absent au mauvais moment ? Est-ce que vous aussi vous avez ressenti cette douleur après avoir perdu quelqu’un ?