Sans Berceau : Le Cri d’une Mère Perdue dans le Chaos
— Paul, tu as au moins monté le berceau ?
Ma voix tremble, étranglée par la fatigue et la colère. Je serre contre moi ce petit être qui vient de bouleverser ma vie. La porte claque derrière moi, l’odeur de lessive froide flotte dans l’air. Paul, debout dans le salon, détourne les yeux, gêné. Il y a des cartons partout, des couches empilées sur la table basse, le biberon encore dans son emballage. Rien n’est prêt. Rien.
— J’ai eu une réunion de dernière minute, s’excuse-t-il, la voix basse. Je voulais finir ce dossier pour que tu n’aies pas à t’inquiéter de l’argent…
Je sens la colère monter, brûlante. L’argent ? Je donnerais tout pour un peu de soutien, un regard, une main posée sur mon épaule. Je suis rentrée de la maternité ce matin, seule dans un taxi, le siège auto mal attaché, le cœur battant à tout rompre. Ma mère, Monique, m’a appelée, mais elle est à Lyon, trop loin pour venir. Paul, lui, n’a même pas pris un jour de congé.
Je pose le cosy sur le canapé, les larmes me montent aux yeux. Ma fille, Léa, dort paisiblement, inconsciente du chaos qui l’entoure. Je m’effondre à côté d’elle, la tête dans les mains.
— Tu veux que je commande des pizzas ? propose Paul, maladroit.
Je ris, un rire nerveux, presque hystérique. C’est donc ça, la maternité ? Des cartons, des pizzas, et un mari qui ne sait pas où ranger les bodies ?
La nuit tombe. Léa se réveille, affamée. Je tâtonne dans la pénombre, cherche le chauffe-biberon. Paul dort déjà, épuisé par sa journée. Je me sens seule, terriblement seule. Les murs de notre appartement parisien me semblent se refermer sur moi. Je pense à toutes ces femmes qui, sur Instagram, affichent des photos parfaites de leur retour à la maison. Moi, je suis en pyjama, les cheveux gras, les yeux rougis.
Le lendemain, Paul part tôt. Il me laisse un mot sur la table : « Courage, je t’aime. » Je le déchire sans même le lire. Je n’ai pas besoin de mots, j’ai besoin de lui. Les jours passent, tous identiques. Je ne dors plus. Léa pleure, je pleure avec elle. Je n’ose pas demander de l’aide. Ma belle-mère, Françoise, passe une fois, critique la poussière sur les étagères, repart vexée parce que je n’ai pas eu le temps de préparer du café.
Un soir, je craque. Paul rentre, me trouve assise par terre, Léa dans les bras, les joues inondées de larmes.
— Je n’y arrive pas, Paul ! Tu comprends ? Je n’y arrive pas !
Il s’agenouille, me prend la main. Pour la première fois, il me regarde vraiment.
— Je suis désolé, murmure-t-il. Je croyais bien faire… Je voulais assurer, être le pilier…
— J’ai besoin de toi. Pas de ton salaire. De toi.
Le silence s’installe. Léa s’endort enfin. Paul me propose de prendre le relais. Je le regarde, méfiante. Il est maladroit, mais il essaie. Il change la couche, met le pyjama à l’envers. Je ris, un vrai rire cette fois. Peut-être que tout n’est pas perdu.
Mais la fatigue ne me quitte pas. Je commence à douter de moi. Je me sens coupable de ne pas être heureuse. Je me sens coupable de lui en vouloir. Je me sens coupable de tout. Un matin, je me regarde dans le miroir : cernes, cheveux en bataille, regard vide. Est-ce ça, être mère ?
Je décide d’appeler ma mère. Elle m’écoute, me rassure. Elle me raconte comment, elle aussi, s’est sentie seule à ma naissance. Comment mon père, Jean, travaillait tout le temps. Comment elle a cru devenir folle. Je me sens moins seule, un peu.
Paul commence à changer. Il prend un congé parental, rare dans son entreprise. Ses collègues le regardent de travers, mais il s’en fiche. Il apprend à donner le bain, à bercer Léa. On se dispute encore, souvent. Mais on apprend à parler. À dire ce qui ne va pas. À demander de l’aide.
Un soir, alors que Léa dort enfin, Paul me prend la main.
— Tu crois qu’on va y arriver ?
Je souris, fatiguée mais sincère.
— Je ne sais pas. Mais on essaie. C’est déjà ça.
Aujourd’hui, Léa a six mois. La maison est toujours en désordre, mais elle résonne de rires et de cris. J’ai repris le travail à mi-temps. Paul gère les sorties de crèche. On s’est réinventés, pas parfaits mais vivants.
Parfois, je repense à ce retour à la maison, à cette solitude. Combien de femmes vivent ça, en silence ? Combien osent dire qu’elles n’y arrivent pas ? Est-ce qu’on a le droit de ne pas être une mère parfaite ?
Et vous, avez-vous déjà eu l’impression de sombrer alors que tout le monde attendait de vous que vous soyez forte ?