Quand la confiance s’effondre : Mon frère, mon traître
« Tu mens, Paul ! Dis-moi que ce n’est pas vrai ! » Ma voix résonne dans la cuisine, brisant le silence du petit appartement où nous avons trouvé refuge après avoir vendu la maison familiale. Mon frère baisse les yeux, ses mains tremblent. Je sens la colère et la peur me submerger, un mélange amer qui me donne la nausée.
Tout a commencé il y a un an, quand papa a eu son AVC. Il n’était plus autonome, il fallait tout réorganiser. Maman n’était plus là depuis longtemps, et Paul et moi, nous avions promis de nous occuper de lui, coûte que coûte. On a vendu la maison à Tours, puis la vieille Renault qui avait accompagné nos étés sur la côte Atlantique. J’ai quitté mon travail à mi-temps à la médiathèque pour m’occuper de papa à plein temps. Paul, lui, gérait les finances. J’avais confiance. C’est mon frère, après tout.
Mais les factures s’accumulaient. Les aides sociales tardaient à arriver. Un jour, l’infirmière m’a dit qu’elle n’était pas payée depuis deux mois. J’ai cru à une erreur de virement. J’ai appelé Paul :
— Tu peux vérifier les comptes ? Il doit y avoir un souci avec la banque.
Il a marmonné quelque chose d’incompréhensible. J’ai senti une gêne, mais j’ai préféré ne pas insister. Jusqu’à ce que je tombe sur un relevé bancaire oublié sur la table basse du salon. Des retraits réguliers, des virements vers un compte inconnu. Mon cœur s’est arrêté.
J’ai confronté Paul le soir même. Il a d’abord nié, puis il a craqué :
— J’avais besoin d’argent… J’ai perdu mon boulot, Claire. Je voulais pas t’inquiéter…
— Mais c’était l’argent de papa ! On a tout vendu pour lui !
Il s’est effondré en larmes. Je suis restée debout, glacée par la trahison. Comment avait-il pu ?
Les jours suivants ont été un enfer. Papa ne comprenait pas pourquoi l’aide-soignante ne venait plus aussi souvent. Il me demandait :
— Claire, pourquoi je ne peux plus aller au kiné ?
Je mentais, je brodais des excuses. Mais à l’intérieur, je bouillais de rage contre Paul et contre moi-même pour avoir été aussi naïve.
J’ai tenté de réparer les dégâts : j’ai contacté l’assistante sociale, expliqué la situation sans entrer dans les détails sordides. Elle m’a regardée avec compassion :
— Vous n’êtes pas la première à vivre ça, vous savez… L’argent et la famille, ça fait rarement bon ménage.
Mais ça ne me consolait pas. J’avais honte. Honte d’avoir perdu le peu qu’il nous restait, honte d’avoir laissé mon frère trahir notre père.
Les tensions entre Paul et moi sont devenues insupportables. Un soir, alors que je préparais la soupe pour papa, Paul est entré dans la cuisine :
— Je vais partir quelques temps… Je crois que c’est mieux.
Je n’ai rien répondu. Il est parti le lendemain matin, sans un mot pour papa.
Les semaines ont passé. J’ai repris un petit boulot de nuit pour payer les soins de papa. Je dormais peu, je pleurais souvent. Parfois, je me surprenais à repenser à notre enfance : les batailles d’eau dans le jardin, les Noëls chez mamie à Poitiers… Comment en étions-nous arrivés là ?
Un dimanche matin, Paul m’a appelée :
— Claire… Je suis désolé. Je sais que tu ne me pardonneras jamais.
J’ai raccroché sans répondre. La blessure était trop vive.
Aujourd’hui, papa est parti. Il s’est éteint doucement un matin de mai, dans son sommeil. Je me suis retrouvée seule avec mes souvenirs et cette colère sourde qui ne me quitte pas.
Parfois je me demande : est-ce que j’aurais pu empêcher tout ça ? Est-ce qu’on peut vraiment se relever quand la confiance en sa propre famille s’effondre ? Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?