Quand Antoine a brillé, il m’a oubliée. Maintenant, il revient vers moi…

« Tu ne comprends pas, Claire, j’ai vraiment besoin de toi. »

Sa voix tremble dans l’entrée de mon petit appartement à Lyon. Je serre la poignée de la porte, hésitant entre claquer la porte ou le laisser entrer. Antoine, mon ex-mari, celui qui m’a fait croire à l’amour éternel avant de disparaître dans les lumières de Paris, se tient devant moi, les yeux rougis et la barbe mal rasée.

Je me souviens encore du jour où il est parti. C’était un matin d’automne, les feuilles mortes tapissaient la cour de notre immeuble. Il avait reçu ce fameux appel : une maison d’édition parisienne voulait publier son roman. « Claire, c’est mon rêve ! » avait-il crié en me serrant dans ses bras. J’étais fière de lui, prête à tout sacrifier pour qu’il réussisse. Mais très vite, Paris l’a avalé tout entier. Les messages se sont espacés, les appels sont devenus rares. Et puis un jour, plus rien. Silence radio.

J’ai appris par des amis communs qu’il s’affichait avec des actrices, qu’il fréquentait les soirées mondaines du Marais, qu’il avait même acheté un loft avec vue sur la Seine. Moi, je restais à Lyon, à jongler entre mon boulot d’infirmière et les factures qui s’accumulaient. Ma mère me répétait : « Il reviendra quand il aura besoin de toi. » J’ai ri jaune à l’époque.

Et maintenant, il est là. Il sent le tabac froid et la fatigue. Je l’invite à s’asseoir sur le vieux canapé que nous avions acheté ensemble chez Emmaüs. Il regarde autour de lui comme s’il redécouvrait un monde oublié.

— Tu veux du thé ?
— Si tu as du whisky…

Je souris tristement. Antoine n’a jamais su affronter la réalité sans se cacher derrière un verre.

— Raconte-moi, dis-je en m’asseyant face à lui.

Il soupire longuement.

— Tout s’est effondré. Mon éditeur m’a lâché après mon deuxième livre. Les critiques m’ont descendu. J’ai perdu mon appart… et puis…

Il hésite.

— J’ai fait des dettes. Beaucoup de dettes.

Je sens la colère monter en moi. Où était-il quand j’avais besoin de lui ? Quand j’ai perdu mon père et que je pleurais seule dans notre lit vide ? Quand j’ai dû vendre mes bijoux pour payer le loyer ?

— Et tu veux quoi, Antoine ? Que je règle tes dettes ?

Il baisse les yeux.

— Je ne sais pas… Je n’ai plus personne. Ma famille ne veut plus entendre parler de moi. Mes amis… ils ont disparu dès que j’ai arrêté d’être « intéressant ».

Un silence pesant s’installe. Je repense à toutes ces nuits où j’ai attendu un message de lui, à tous ces anniversaires passés seule avec un gâteau minuscule acheté chez Paul.

— Tu sais ce que ça fait d’être invisible ?

Il relève la tête, surpris par la dureté de ma voix.

— Invisible ? Mais tu as toujours été forte, Claire !

Je ris nerveusement.

— Forte ? Non, Antoine. J’ai été seule. Il n’y a rien de fort à pleurer tous les soirs en espérant que l’autre se souvienne qu’on existe.

Il se lève brusquement et fait les cent pas dans le salon.

— Je suis désolé… Je sais que je t’ai blessée. Mais je t’en supplie, aide-moi ! Je ne sais plus vers qui me tourner.

Je ferme les yeux un instant. Je pense à ma mère qui m’a toujours dit de ne jamais laisser quelqu’un profiter de ma gentillesse. Mais je pense aussi à l’Antoine d’avant, celui qui écrivait des poèmes pour moi sur des serviettes en papier au café du coin.

— Je peux t’aider à trouver un boulot ici, à Lyon. Mais je ne paierai pas tes dettes. Et je ne veux pas que tu restes ici plus d’une semaine.

Il acquiesce en silence, les épaules affaissées.

Les jours suivants sont étranges. Antoine dort sur le canapé et passe ses journées à chercher du travail sur mon vieux portable. Parfois, je le surprends en train de regarder nos vieilles photos accrochées au mur : nous deux à Annecy, riant sous la pluie ; lui qui me porte sur ses épaules lors d’un festival d’été.

Un soir, alors que je rentre tard de l’hôpital, je le trouve assis dans la cuisine, une lettre ouverte devant lui.

— C’est une réponse pour un poste dans une librairie, dit-il sans lever les yeux. Ils veulent me rencontrer demain.

Je sens une pointe d’espoir dans sa voix. Peut-être qu’il va enfin se relever sans moi.

Mais au fond de moi, une question me hante : pourquoi revient-on toujours vers ceux qu’on a blessés quand tout va mal ? Est-ce par amour ou par égoïsme ?

Je regarde Antoine et je me demande : est-ce que pardonner, c’est forcément oublier ? Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?