Pourquoi j’ai tout perdu en croyant à l’amour volé

« Tu ne comprends pas, Camille, je ne peux plus vivre dans le mensonge ! »

La voix de Julien tremblait, ses yeux cherchaient les miens dans la pénombre de mon petit appartement du 11e arrondissement. Il venait de claquer la porte derrière lui, laissant derrière lui une vie entière : sa femme, ses deux enfants, son pavillon à Vincennes. Et moi, j’étais là, assise sur le canapé, le cœur battant à tout rompre, partagée entre la peur et l’excitation. Je croyais que c’était le début de notre bonheur. Je me trompais.

Je m’appelle Camille. Pendant deux ans, j’ai été « l’autre femme ». Celle qu’on cache, celle à qui on promet des lendemains qui chantent, celle qui attend des messages en cachette, qui se contente de miettes d’attention et de quelques week-ends volés. J’ai cru que l’amour pouvait tout justifier. J’ai cru que j’étais différente, que notre histoire était unique. Mais la vérité, c’est que j’ai été aveuglée par mes propres illusions.

Le soir où Julien a quitté sa famille, je n’ai pas dormi. Je me suis levée mille fois pour vérifier mon téléphone, persuadée qu’il allait changer d’avis, retourner chez sa femme, me laisser seule avec ma honte et mes regrets. Mais non : à l’aube, il était là, endormi dans mon lit, comme un enfant épuisé par la tempête.

Au début, tout semblait possible. Nous pouvions enfin sortir ensemble sans nous cacher. Il m’a présenté à ses amis – enfin, ceux qui n’avaient pas choisi de rester fidèles à son ex-femme. Il a emménagé chez moi, avec quelques valises et beaucoup de non-dits. Mais très vite, la réalité s’est imposée : Julien n’était plus le même. Il passait des heures au téléphone avec ses enfants, tentait de rassurer son ex-femme, se perdait dans des silences lourds de culpabilité.

Un soir, alors qu’il fixait la fenêtre sans rien dire depuis une heure, je n’ai pas pu m’empêcher :
— Tu regrettes ?
Il a sursauté.
— Non… Enfin… Je ne sais pas. C’est compliqué.

C’est compliqué. Ce sont les mots qui ont rythmé notre nouvelle vie. Les enfants qui refusaient de me voir. Les amis qui me regardaient comme une voleuse de mari. Ma propre mère qui ne comprenait pas comment j’avais pu accepter ce rôle :
— Camille, tu crois vraiment qu’on construit le bonheur sur les ruines des autres ?

Je n’avais pas de réponse. J’essayais de me convaincre que nous étions différents, que notre amour valait bien quelques sacrifices. Mais chaque jour, je voyais Julien s’éloigner un peu plus. Il était là sans être là. Parfois il pleurait en cachette dans la salle de bain. Parfois il s’énervait pour un rien.

Un dimanche matin, alors que nous prenions le petit-déjeuner en silence, il a reçu un message de sa fille : « Papa, pourquoi tu ne rentres pas à la maison ? » Il a posé son téléphone et s’est effondré en larmes. J’ai voulu le prendre dans mes bras mais il m’a repoussée doucement.
— Je suis désolé… Je ne sais plus qui je suis.

C’est à ce moment-là que j’ai compris : je n’étais pas son avenir, j’étais son erreur. J’étais celle qui avait cru à une histoire impossible, celle qui avait voulu croire qu’on pouvait être heureux sur les décombres d’une famille détruite.

Les semaines ont passé. Julien est devenu l’ombre de lui-même. Il sortait de plus en plus souvent pour voir ses enfants, revenait tard, parfois ivre. Moi, je me sentais étrangère dans ma propre vie. Je n’avais plus d’amies – elles avaient toutes pris leurs distances quand elles avaient appris la vérité. Au travail aussi, les regards avaient changé : on murmurait dans mon dos.

Un soir d’automne, alors que la pluie battait contre les vitres et que Paris semblait étouffer sous le poids du ciel gris, Julien m’a annoncé qu’il partait.
— Je dois essayer de réparer ce que j’ai cassé… Je dois être là pour mes enfants.
Il n’a pas ajouté un mot de plus. Il a pris ses affaires et il est parti sans se retourner.

Je suis restée seule dans cet appartement trop grand pour une seule personne et trop petit pour contenir tous mes regrets. J’ai pleuré pendant des jours entiers. J’ai repensé à tout ce que j’avais sacrifié : mes amies, ma famille, mon estime de moi-même.

Aujourd’hui encore, quand je croise des couples dans la rue ou que j’entends des enfants rire dans un parc parisien, une boule se forme dans ma gorge. J’ai compris trop tard que le bonheur ne se construit jamais sur la souffrance des autres.

Parfois je me demande : si c’était à refaire, referais-je les mêmes choix ? Peut-on vraiment être heureux quand on a volé le bonheur d’autrui ? Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?