Petit Guerrier de Nantes : Comment J’ai Trouvé Ma Voix au Milieu de la Tourmente
« Lucas, tu dois finir ta soupe ! » La voix de ma mère résonne dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je regarde mon bol, les mains tremblantes. Depuis que le médecin a prononcé le mot « leucémie », tout a changé. Je ne comprends pas vraiment ce que ça veut dire, mais je vois bien que mes parents ne se parlent plus comme avant. Papa rentre tard du travail à la raffinerie de Donges, les épaules voûtées, et maman passe des heures au téléphone avec mamie ou la mutuelle. Moi, je suis là, au milieu, invisible et bruyant à la fois.
Ce soir-là, la tension est à son comble. Ma grande sœur Camille claque la porte de sa chambre après avoir crié : « Vous ne pensez qu’à Lucas ! » Maman s’effondre sur une chaise, les larmes aux yeux. Je voudrais disparaître. Je voudrais être comme avant, quand on riait tous ensemble autour d’une galette des rois, quand papa me portait sur ses épaules dans les rues du centre-ville illuminées à Noël.
Mais ce soir, tout est différent. Je sens la colère de Camille, la tristesse de maman, le silence lourd de papa. Et moi, j’ai peur. Peur de mourir, peur d’être la cause de tout ce malheur. Je serre fort mon doudou contre moi sous la table.
« Lucas… » La voix de maman est douce maintenant. Elle s’agenouille à côté de moi. « Tu veux qu’on écoute un peu de musique ? »
Je hoche la tête. La musique a toujours été mon refuge. Papa met un vieux CD de Jean-Jacques Goldman. Les premières notes de « Comme toi » résonnent dans le salon. Je ferme les yeux et laisse la mélodie m’emporter loin d’ici, loin des piqûres à l’hôpital, loin des disputes.
Soudain, une idée me traverse l’esprit. J’ai écrit une chanson dans mon cahier secret, celle que je n’ai jamais osé montrer à personne. Elle parle de la peur, mais aussi du courage. Je sens mon cœur battre très fort. Est-ce le moment ?
Je me lève timidement et tire sur la manche de papa. « Je peux chanter quelque chose ? »
Papa me regarde surpris, puis acquiesce en silence. Camille entrouvre sa porte, intriguée.
Je prends une grande inspiration et commence :
« Quand la nuit tombe sur Nantes,
Et que j’ai froid dans mon lit,
Je pense à tous ceux qui m’aiment,
Même si parfois ils oublient… »
Ma voix tremble au début, puis elle se fait plus sûre. Je vois maman essuyer une larme discrète. Papa me fixe sans cligner des yeux. Camille s’approche lentement et s’assoit à côté de moi.
« Je suis petit mais je me bats,
Même si j’ai peur du noir,
Je veux voir encore vos sourires,
Et danser avec l’espoir… »
Quand je termine, il y a un silence étrange. Puis maman me serre très fort dans ses bras. Papa pose sa main sur mon épaule, maladroitement mais avec tendresse. Camille me chuchote : « Tu es courageux, Lucas… »
Ce soir-là, quelque chose a changé dans notre famille. On ne s’est pas mis à rire tout de suite, ni à oublier la maladie. Mais on s’est regardés autrement. J’ai compris que ma voix pouvait apaiser les peurs, même celles des grands.
Les semaines suivantes ont été difficiles : les allers-retours à l’hôpital Necker à Paris pour des traitements lourds, les cheveux qui tombent sur l’oreiller blanc, les copains qui n’osent plus trop venir jouer à la maison. Mais chaque soir, on écoutait une chanson ensemble. Parfois c’était moi qui chantais, parfois c’était Camille qui grattait sa guitare en cachette.
Un jour, alors que je rentrais d’une chimio particulièrement éprouvante, j’ai surpris papa et maman en train de se disputer dans le couloir :
— On ne peut pas continuer comme ça ! s’exclamait papa.
— Tu crois que c’est facile pour moi ? répondait maman en sanglotant.
— Et Camille ? Tu as vu comme elle va mal ?
Je me suis senti coupable d’être au centre de tout ça. J’ai voulu fuir mais mes jambes étaient trop faibles.
Le soir même, j’ai pris le carnet où j’écrivais mes chansons et je l’ai posé sur la table du salon.
« C’est pour vous », ai-je murmuré.
Papa l’a ouvert et a lu à voix haute :
« Même quand tout semble perdu,
Il reste un peu de lumière,
Dans le regard de ceux qu’on aime,
Dans le souffle d’un air… »
Maman a souri pour la première fois depuis longtemps. Camille m’a serré contre elle sans rien dire.
Aujourd’hui, je vais mieux. La maladie n’a pas disparu mais elle ne fait plus peur comme avant. J’ai compris que même petit, on peut changer quelque chose autour de soi.
Parfois je me demande : est-ce que c’est la maladie qui m’a rendu plus fort ou est-ce l’amour de ma famille ? Est-ce qu’on doit toujours attendre une épreuve pour se dire qu’on s’aime ? Qu’en pensez-vous ?