Noël sous les néons : le combat de Nathan

« Maman, est-ce que je vais mourir ? »

Ma voix tremble, à peine audible sous le masque qui me gratte la peau. Les néons du service pédiatrique de l’hôpital Necker me brûlent les yeux. Ma mère serre ma main si fort que j’ai peur qu’elle la casse. Mais je préfère ça à la douleur dans mon ventre, à la peur dans ses yeux. Elle ne répond pas tout de suite. Elle se penche, caresse mes cheveux rasés par la chimio, et murmure : « Tant que je suis là, tu ne risques rien. »

Mais je sais qu’elle ment. Je le vois dans ses cernes, dans ses mains qui tremblent quand elle croit que je ne regarde pas. Depuis six mois, mon monde s’est réduit à cette chambre blanche, aux allées et venues des infirmières, aux piqûres qui brûlent et aux médicaments qui donnent envie de vomir. Et puis il y a eu ce fichu virus. COVID. Comme si le cancer ne suffisait pas.

Le 15 décembre, tout a basculé. J’ai eu de la fièvre, des frissons. Les médecins ont parlé entre eux, chuchotant des mots compliqués : « immunodéprimé », « risque vital », « isolement strict ». Ma mère a dû partir. Mon père n’a pas pu venir. Je suis resté seul avec mes peurs et le bruit des machines.

La veille de Noël, une infirmière, Camille, est entrée avec un bonnet de Père Noël sur la tête. Elle a essayé de me faire sourire :
— Tu sais, Nathan, le Père Noël fait aussi des tournées spéciales à l’hôpital.
J’ai haussé les épaules. Je n’y croyais plus depuis longtemps.

Mais cette nuit-là, j’ai entendu des voix dans le couloir. Des rires étouffés, des chants maladroits. Camille est revenue avec une guitare et deux autres infirmiers déguisés en lutins. Ils ont chanté « Petit Papa Noël » devant ma porte fermée. J’ai pleuré en silence sous ma couverture. Pas parce que j’étais triste, mais parce que je me sentais moins seul.

Le matin du 25 décembre, j’ai trouvé un dessin sur ma table de nuit : un sapin décoré de cœurs rouges et verts, signé « Papa ». Il n’avait pas pu entrer à cause du COVID, mais il avait laissé ce dessin à l’accueil. Ma mère m’a appelé en visio. Elle avait mis son pull moche avec un renne clignotant. Elle a fait semblant d’être joyeuse, mais je voyais bien qu’elle avait pleuré toute la nuit.

— Tu es mon héros, Nathan, tu sais ?
J’ai voulu lui dire que je n’étais pas un héros. Que j’avais peur tous les jours. Que je voulais juste rentrer à la maison, retrouver mon chat Pompon et sentir l’odeur du sapin dans le salon. Mais je n’ai rien dit. J’ai souri pour elle.

Les jours suivants ont été les plus longs de ma vie. Les médecins venaient souvent, masqués jusqu’aux yeux. Ils parlaient entre eux comme si je n’étais pas là. Un soir, j’ai entendu le mot « rémission ». J’ai cru rêver.

Ma mère est revenue le 28 décembre. Elle a couru jusqu’à mon lit et m’a serré si fort que j’ai cru étouffer.
— On va rentrer bientôt, mon cœur…

Je n’ai jamais autant pleuré que ce jour-là.

Aujourd’hui, je suis rentré chez moi. J’ai encore peur que tout recommence. Je sais que rien ne sera plus jamais comme avant. Mais j’ai compris une chose : même quand tout semble perdu, il y a toujours une main tendue, un sourire derrière un masque, une chanson dans le couloir.

Est-ce que vous aussi vous avez déjà eu peur de perdre ceux que vous aimez ? Comment on fait pour continuer à croire aux miracles quand on a vu la mort de si près ?