« Ne te précipite pas, Camille : le bonheur ne s’enfuit pas »

« Camille, tu es debout ? Dépêche-toi, la famille d’Antoine arrive dans une heure ! »

La voix de ma belle-mère résonne dans l’appartement, tranchante comme un couteau. Je serre la poignée de la porte de la cuisine, les mains tremblantes. Il est six heures du matin, et je suis déjà épuisée. Je jette un regard à Antoine, encore endormi, paisible, inconscient du chaos qui m’habite. Je me demande comment il fait pour dormir alors que je suis en train de me noyer.

Je prépare les crêpes préférées d’Antoine, comme chaque dimanche depuis qu’il a emménagé chez moi. Je veux croire que ce geste simple suffit à montrer mon amour. Mais ce matin, tout a un goût amer. Je repense à ma grand-mère, Madeleine, qui me disait toujours : « Ne te précipite pas, Camille. Le bonheur ne s’enfuit pas. »

La sonnette retentit. Mon cœur rate un battement. La famille d’Antoine débarque, bruyante, envahissante. Sa mère, Françoise, inspecte la table d’un œil critique.

— Tu n’as pas mis assez de confiture. Chez nous, on fait mieux les choses.

Je ravale ma fierté et souris faiblement. Son père, Gérard, s’installe sans un mot et allume la télévision à fond. Sa sœur, Chloé, fouille déjà dans mes placards.

— Tu n’as pas de lait d’amande ? Tu sais qu’Antoine préfère ça !

Je me sens étrangère dans mon propre appartement. Antoine arrive enfin, embrasse sa mère et me lance un regard gêné.

— Tu peux aller chercher des croissants à la boulangerie ? Maman adore ceux de chez Dupont.

Je sors dans la rue froide de Lyon, les yeux embués de larmes. Je repense à ma vie d’avant, à mes rêves de liberté, à mes études d’art que j’ai mises entre parenthèses pour ce couple qui m’étouffe.

En rentrant, je surprends une conversation à voix basse :

— Elle n’est pas vraiment faite pour Antoine…
— Elle n’a pas grandi comme nous…

Je pose les croissants sur la table sans un mot. Antoine évite mon regard. Je comprends que je suis seule dans cette bataille.

Les semaines passent et la pression monte. La famille d’Antoine décide que le mariage doit avoir lieu en juin, « parce que c’est plus pratique pour tout le monde ». On me parle du menu, du plan de table, du choix des invités. On ne me demande jamais mon avis.

Un soir, alors qu’Antoine est sorti avec des amis, Françoise débarque chez moi avec une robe de mariée qu’elle a choisie sans moi.

— Elle appartenait à ma mère. Tu seras magnifique dedans.

Je regarde la robe en dentelle jaunie et sens une boule se former dans ma gorge.

— Je… je voulais choisir ma robe moi-même.
— Camille, tu dois comprendre que dans notre famille, on respecte les traditions.

Je m’effondre sur le canapé après son départ. Je repense à ma grand-mère qui me disait : « Camille, ne laisse jamais personne décider à ta place. »

Le lendemain matin, je me regarde dans le miroir. Mes cernes sont profonds, mes yeux éteints. Qui suis-je devenue ? Où est passée la jeune femme pleine de rêves et d’ambitions ?

J’appelle ma mère en pleurant.

— Maman… Je crois que je ne peux plus continuer comme ça.
— Camille, tu n’as rien à prouver à personne. Si tu n’es pas heureuse, il faut avoir le courage de partir.

Cette phrase résonne en moi toute la journée. Le soir venu, Antoine rentre tard. Il sent l’alcool et évite mon regard.

— Ta mère est passée aujourd’hui… Elle veut qu’on fasse la liste des invités demain.
— Antoine… Est-ce que tu m’aimes vraiment ? Ou est-ce que tu veux juste une femme qui obéit à ta famille ?

Il soupire.

— Camille, tu compliques tout… Ma mère veut juste t’aider.
— Non, elle veut décider pour moi. Et toi aussi.

Un silence glacial s’installe entre nous. Je sens que tout s’effondre.

Cette nuit-là, je dors mal. Au petit matin, je prends une décision. J’écris une lettre à Antoine :

« Je t’ai aimé sincèrement mais je ne peux plus vivre dans l’ombre de ta famille. J’ai besoin de retrouver qui je suis avant d’être ta femme. Peut-être qu’un jour tu comprendras pourquoi je pars aujourd’hui. »

Je laisse la lettre sur la table et pars sans me retourner. Dans la rue déserte, je sens un poids immense quitter mes épaules. Je pense à ma grand-mère et souris à travers mes larmes.

Aujourd’hui, je reconstruis ma vie petit à petit. J’ai repris mes études d’art et j’apprends à m’aimer telle que je suis.

Est-ce qu’on doit sacrifier son bonheur pour satisfaire les attentes des autres ? Et vous, auriez-vous eu le courage de dire non comme moi ?