Mon mari refuse de travailler avec mon père, mais ne trouve pas d’emploi : notre combat pour la dignité et l’amour
« Tu ne comprends donc pas, Camille ? Je préfère encore pointer au chômage que de travailler pour ton père ! »
La voix d’Antoine résonne dans la cuisine, brisant le silence du dîner. Je serre les poings sur ma serviette, tentant de contenir les larmes qui me montent aux yeux. Depuis qu’il a quitté son poste chez Dupuis & Fils, notre vie ressemble à un champ de mines. Chaque mot, chaque regard peut déclencher une explosion.
Trois ans plus tôt, tout était différent. Antoine était fier de son travail dans cette PME de Tours, apprécié par son patron – un certain François, qu’il connaissait depuis la fac. Mais le jour où François a été muté à Bordeaux, tout s’est effondré. Le nouveau directeur, Monsieur Lemoine, n’a jamais supporté Antoine. Il l’a rétrogradé, coupé ses primes, humilié devant ses collègues. J’ai vu mon mari s’éteindre à petit feu.
Le soir où il a claqué la porte, j’ai cru qu’il retrouverait vite un emploi. Mais les mois ont passé. Les refus s’accumulaient. Les économies fondaient. Et mon père, Gérard, patron d’une petite entreprise de plomberie à Saint-Cyr-sur-Loire, n’arrêtait pas de proposer à Antoine de le rejoindre.
« Ce serait temporaire », disait-il. « Juste le temps de rebondir. »
Mais Antoine refusait catégoriquement. Par fierté ? Par peur d’être redevable à mon père ? Ou simplement parce qu’il ne voulait pas être « le gendre pistonné » ?
Les disputes se sont multipliées. Un soir, alors que je rentrais tard du travail, j’ai trouvé Antoine assis dans le noir, une lettre de refus froissée dans la main.
— Tu sais ce que c’est d’envoyer des CV et de n’avoir que du silence en retour ?
— Je sais que tu souffres, Antoine… Mais on ne peut pas continuer comme ça. On va finir par tout perdre.
Il a haussé les épaules, le regard vide.
— Je ne veux pas être un poids pour toi.
— Tu n’es pas un poids ! Mais on doit avancer… ensemble.
Le lendemain matin, j’ai croisé mon père devant la boulangerie.
— Camille… Il faut que tu comprennes ton mari. Il a sa fierté. Mais il doit aussi penser à vous deux.
Je lui ai demandé d’arrêter ses propositions. Que ça ne faisait qu’envenimer la situation.
Mais la pression montait. Les factures s’empilaient sur la table du salon. Les amis commençaient à s’éloigner. Même ma mère me lançait des regards lourds de reproches lors des repas du dimanche.
Un soir d’orage, alors que la pluie battait contre les vitres, j’ai craqué.
— Tu préfères vraiment perdre notre maison plutôt que d’accepter l’aide de mon père ?
Antoine s’est levé brusquement.
— Ce n’est pas une question d’orgueil ! Je veux juste… Je veux juste qu’on me respecte !
— Et moi ? Tu me respectes quand tu refuses toute solution ?
Il est parti en claquant la porte. J’ai passé la nuit à pleurer sur le canapé.
Le lendemain, il n’est pas rentré avant l’aube. Il avait marché toute la nuit le long de la Loire.
— Je suis désolé, Camille… J’ai peur de me perdre si je cède maintenant. J’ai peur que ton père ne me voie jamais comme autre chose que « le mari incapable ».
J’ai pris sa main.
— On est deux dans cette galère. Si tu tombes, je tombe aussi. Mais je ne veux pas te voir sombrer par fierté.
Quelques semaines plus tard, alors que je commençais à chercher un deuxième emploi en cachette, Antoine est rentré avec un sourire timide.
— J’ai trouvé une formation en reconversion pour devenir conseiller en insertion professionnelle. Ce n’est pas ce que j’avais imaginé… mais ça me donne envie d’essayer.
J’ai pleuré de soulagement. Mon père a proposé de financer une partie des frais sans rien attendre en retour. Cette fois, Antoine a accepté – non pas comme un échec, mais comme un nouveau départ.
La formation a été difficile. Il a douté, souvent voulu abandonner. Mais il a tenu bon. Un an plus tard, il a décroché un poste dans une mission locale à Tours. Pour la première fois depuis longtemps, je l’ai vu rentrer le soir avec des étoiles dans les yeux.
Notre couple a survécu à cette tempête. Mais parfois, quand je croise le regard de mon père lors des repas familiaux, je sens encore une pointe de gêne entre eux – comme une cicatrice qui ne disparaîtra jamais tout à fait.
Aujourd’hui, je me demande : combien d’hommes et de femmes vivent ce genre de conflit entre fierté et nécessité ? Jusqu’où iriez-vous pour préserver votre dignité ou celle de votre couple ?