Mariage à tout prix ? L’échappée de Camille face à la famille de son fiancé

— Tu as mis assez de confiture ?

La voix de Paul résonne derrière moi, sèche, alors que je viens à peine de déposer l’assiette de crêpes sur la table. Il ne m’a même pas dit bonjour. Je retiens un soupir, me force à sourire. Je suis debout depuis six heures, j’ai préparé son petit-déjeuner préféré, repassé sa chemise pour le travail, et pourtant…

— Oui, Paul. J’ai mis celle à la fraise, comme tu aimes.

Il ne répond pas. Il s’assoit, attrape sa fourchette, commence à manger sans un mot. Je l’observe du coin de l’œil. Depuis que nous avons annoncé nos fiançailles, il a changé. Ou peut-être est-ce moi qui commence seulement à voir ce que je refusais d’admettre.

La sonnette retentit. Je sursaute. C’est sûrement sa mère, Madame Lefèvre, qui passe « par hasard » tous les matins depuis deux semaines. Elle entre sans attendre qu’on lui ouvre, comme si l’appartement lui appartenait déjà.

— Bonjour Camille ! Tu as pensé à acheter du lait entier ? Paul ne supporte pas le demi-écrémé, tu le sais bien.

Je serre les dents. Elle ne me laisse jamais finir une phrase, jamais le temps d’expliquer que oui, j’y ai pensé. Elle s’installe à table, commence à donner des ordres :

— Il faudra penser à inviter toute la famille pour le déjeuner dimanche. Et as-tu réservé la salle pour le mariage ? Paul veut quelque chose de traditionnel, pas ces trucs modernes ridicules.

Paul ne dit rien. Il laisse sa mère parler pour lui. Je me sens invisible.

Je repense à ma mère à moi, disparue il y a trois ans. Elle m’aurait dit : « Camille, n’oublie jamais qui tu es. » Mais qui suis-je devenue ?

Le soir même, je rentre tard du travail. Paul est déjà là, affalé sur le canapé, la télévision allumée. Il ne lève même pas les yeux quand j’entre.

— Tu as pensé à appeler le traiteur ?

— Oui… Mais je voulais qu’on en discute ensemble.

Il soupire bruyamment.

— Camille, tu sais bien que Maman s’en occupe avec toi. Elle a plus d’expérience.

Je sens la colère monter. Je n’ai plus mon mot à dire sur rien : ni la robe, ni la musique, ni même la liste des invités. Tout est décidé par Madame Lefèvre et Paul acquiesce toujours.

Le lendemain matin, je croise mon amie Sophie au café du coin.

— Tu as l’air épuisée…

Je fonds en larmes devant elle. Elle me prend dans ses bras.

— Camille, pourquoi tu fais tout ça ? Tu es heureuse ?

Je ne sais pas quoi répondre. Est-ce que je suis heureuse ? Ou est-ce que je fais juste ce qu’on attend de moi ?

Le samedi suivant, c’est la répétition du mariage civil à la mairie du 15ème arrondissement. Toute la famille Lefèvre est là : tantes pincées, oncles bruyants, cousines parfaites. Ma famille à moi se résume à mon père silencieux et ma petite sœur Lucie qui me lance des regards inquiets.

Après la cérémonie factice, Madame Lefèvre me prend à part :

— Camille, il faut que tu comprennes : dans notre famille, on fait les choses correctement. Pas question de décevoir Paul ou de salir notre nom.

Je sens mes jambes flancher. Je voudrais crier que je ne suis pas une pièce rapportée, que j’ai aussi une famille, des envies… Mais aucun son ne sort.

Le soir même, Lucie me rejoint dans ma chambre d’enfant chez mon père où j’ai trouvé refuge pour la nuit.

— Tu vas vraiment te marier avec lui ? Tu n’as pas l’air heureuse…

Je regarde ma petite sœur et je comprends que je ne peux plus continuer comme ça. Je dois choisir : vivre pour moi ou pour eux.

Le lendemain matin, je retourne à l’appartement de Paul. Il est là, en train de lire les messages de sa mère sur son téléphone.

— Paul… Il faut qu’on parle.

Il lève les yeux, agacé.

— Quoi encore ?

Je prends une grande inspiration.

— Je ne peux pas continuer comme ça. Ce mariage… ce n’est pas ce que je veux. Je ne veux pas passer ma vie à essayer de plaire à ta mère ou à devenir quelqu’un que je ne suis pas.

Il reste silencieux un instant puis hausse les épaules.

— Tu exagères comme d’habitude. Tout le monde fait des compromis.

— Ce n’est pas un compromis si je dois m’effacer complètement !

Je sens mes mains trembler mais je continue :

— Je préfère être seule que mal accompagnée. Je rends la bague.

Je pose la bague sur la table et quitte l’appartement sans me retourner.

Dans la rue, l’air frais me gifle le visage mais je respire enfin. J’appelle Sophie :

— J’ai tout annulé… J’ai peur mais je crois que c’est la première fois depuis longtemps que je me sens vivante.

Aujourd’hui encore, parfois le doute me rattrape : ai-je eu raison de tout quitter ? Mais au fond de moi, je sais que oui. Mieux vaut être seule que prisonnière d’une vie qui n’est pas la sienne.

Et vous… Jusqu’où seriez-vous prêts à aller pour ne pas décevoir votre famille ou votre entourage ? Faut-il vraiment sacrifier son bonheur pour répondre aux attentes des autres ?