Ma mère, son luxe, et mon combat pour ma famille

« Alors, Camille, il vous reste encore un peu de pain ou vous êtes déjà à la soupe populaire ? »

La voix de ma mère résonne dans le combiné, froide et tranchante comme une lame. Je serre les dents, le regard perdu sur la tapisserie défraîchie du salon. Étienne, mon mari, est dans la cuisine, penché sur les factures qu’il tente de trier. Dylan, notre petit garçon de six ans, joue sur le tapis avec ses cubes colorés, son sourire éclatant illuminant la pièce malgré tout.

Je n’ai pas envie de répondre à ma mère. Je voudrais lui crier que oui, parfois il ne reste qu’un bout de pain rassis, que parfois je me demande comment on va tenir jusqu’à la fin du mois. Mais je ravale mes larmes et je murmure : « On se débrouille, maman. »

Elle soupire, exaspérée : « Tu sais, si tu avais épousé quelqu’un d’un peu plus ambitieux… Regarde ta cousine Sophie ! Son mari est avocat, ils partent à Saint-Tropez cet été. Toi, tu restes coincée dans ce HLM à Montreuil… »

Je raccroche avant qu’elle ne puisse continuer. Mon cœur bat trop fort. J’ai honte. Honte de ne pas pouvoir offrir mieux à Dylan. Honte de voir Étienne se tuer à la tâche pour un salaire de misère. Honte de cette mère qui préfère juger plutôt que tendre la main.

Le soir venu, Étienne me rejoint sur le canapé. Il a entendu la conversation. Il pose sa main sur la mienne : « Ne l’écoute pas, Camille. On fait ce qu’on peut. Dylan est heureux, c’est ça qui compte. »

Mais comment lui expliquer que chaque mot de ma mère me transperce ? Qu’elle me rappelle sans cesse que je ne suis pas à la hauteur ?

Le lendemain matin, je croise Madame Dupuis sur le palier. Elle me sourit gentiment : « Comment va Dylan ? »

Je souris faiblement : « Il va bien, merci. »

Mais derrière son sourire compatissant, je sens la pitié. Ici, tout le monde sait qu’on galère. Que je n’ai pas repris le travail depuis la naissance de Dylan parce qu’il a besoin de moi à plein temps. Que les aides sociales ne suffisent pas toujours.

Un jour, ma mère débarque sans prévenir. Elle arrive dans sa Mercedes rutilante, parfumée à l’eau de toilette hors de prix. Elle entre dans notre petit appartement comme dans un musée poussiéreux.

« Tu pourrais au moins faire un peu de ménage », lâche-t-elle en fronçant le nez.

Je serre les poings. Étienne s’éclipse dans la chambre avec Dylan pour éviter l’affrontement.

« Maman, si tu es venue pour critiquer… »

Elle m’interrompt : « Je suis venue parce que j’ai entendu dire que tu avais du mal à payer l’orthophoniste de Dylan. Je peux t’aider… mais il faudrait que tu acceptes de venir vivre chez moi quelques temps. Sans Étienne, bien sûr. Il n’a rien à faire là-bas. »

Je reste sans voix. Elle veut m’arracher à ma famille sous prétexte d’aide ?

« Jamais », je souffle. « Jamais je ne laisserai Étienne ou Dylan pour ton confort. »

Elle hausse les épaules : « Tu fais toujours les mauvais choix, Camille. »

Quand elle part, je m’effondre en larmes dans les bras d’Étienne.

Les jours passent et la tension monte à la maison. Les factures s’accumulent. Dylan tombe malade ; une simple grippe mais qui dégénère vite chez lui. Je passe des nuits blanches à son chevet pendant qu’Étienne fait des heures supplémentaires.

Un soir, alors que je suis au bout du rouleau, je reçois un message de ma mère : « Tu vois où t’ont mené tes choix ? Il n’est pas trop tard pour revenir à la maison… sans ton mari. »

Je regarde Dylan dormir paisiblement malgré sa fièvre et je sens une colère sourde monter en moi.

Le lendemain matin, j’appelle ma mère.

« Maman, arrête. Arrête de me juger, arrête de croire que ta vie vaut mieux que la mienne parce que tu as de l’argent ! Tu n’as jamais compris ce que c’est d’aimer quelqu’un au point d’accepter toutes les galères du monde pour lui offrir un sourire ! Je préfère mille fois mes journées difficiles avec Étienne et Dylan que tes dîners mondains où personne ne s’aime vraiment ! »

Un silence glacial s’installe.

« Très bien », finit-elle par dire d’une voix sèche. « Ne viens pas pleurer quand tu n’auras plus rien. »

Je raccroche en tremblant mais étrangement soulagée.

Ce soir-là, Étienne rentre plus tôt. Il m’embrasse sur le front : « On va s’en sortir, Camille. On est ensemble. »

Je regarde mon fils qui rit aux éclats devant un dessin animé et je me dis que oui, on est pauvres peut-être… mais on est riches d’autre chose.

Parfois je me demande : pourquoi certains parents préfèrent-ils humilier leurs enfants plutôt que les soutenir ? Est-ce vraiment l’argent qui fait le bonheur ? Qu’en pensez-vous ?