Ma mère a aidé mon ex-femme, mais refuse d’aider ma femme actuelle : le poids des choix et des rancœurs
— Tu ne comprends donc pas, maman ? On n’a nulle part où aller !
Ma voix tremble, résonne dans le petit salon de l’appartement HLM de ma mère, à Montreuil. Elle me regarde, impassible, les bras croisés sur son tablier fleuri. Derrière moi, Camille, ma femme, serre la main de notre fils, Léo, qui ne comprend rien à la tension qui flotte dans l’air.
— J’ai déjà beaucoup fait pour toi, Étienne. Et puis… tu sais très bien pourquoi je ne veux pas recommencer.
Son regard glisse vers Camille, froid comme une lame. Je sens la colère monter en moi, mais aussi une honte sourde. Je repense à l’époque où tout était plus simple, quand j’étais encore marié à Sophie. Ma mère l’adorait. Elle disait qu’elle était « comme une fille » pour elle. Quand notre mariage a explosé, c’est elle qui a soutenu Sophie, qui l’a hébergée avec nos deux filles, Lucie et Manon, le temps que je trouve un autre logement.
Mais avec Camille… c’est différent. Depuis le début, maman ne l’a jamais acceptée. « Trop jeune », « pas assez stable », « elle t’a volé à ta famille », disait-elle. Pourtant, Camille n’a rien volé à personne. C’est moi qui ai tout gâché.
Je me souviens du jour où j’ai quitté Sophie. Les cris, les pleurs des filles, la porte qui claque. J’étais persuadé que je faisais le bon choix. Camille m’apportait une légèreté que je n’avais jamais connue. Mais aujourd’hui, alors que nous sommes au bord du gouffre financier après la perte de mon emploi à l’usine PSA d’Aulnay, je me demande si j’ai tout sacrifié pour un mirage.
— Tu as aidé Sophie sans hésiter ! Pourquoi pas nous ?
Ma mère soupire, s’assied lourdement sur le canapé.
— Parce que Sophie n’a rien demandé, elle. Elle a subi tes choix. Camille…
Camille se redresse, la voix tremblante :
— Je ne suis pas responsable de ce qui s’est passé entre Étienne et Sophie !
Un silence glacial s’installe. Léo se met à pleurer doucement. Je sens la panique monter en moi.
— Maman… On va finir à la rue si tu ne nous aides pas.
Elle détourne les yeux.
— J’ai mes limites. J’ai déjà assez donné.
Je me sens trahi. Par elle, par moi-même aussi. Je repense à mes filles, que je ne vois presque plus depuis la séparation. À chaque visite, Lucie me regarde avec une distance nouvelle. Manon refuse même de me parler au téléphone.
Camille pose sa main sur mon bras.
— Viens, Étienne. On ne va pas s’humilier davantage.
Je secoue la tête.
— Non ! On ne partira pas tant qu’on n’aura pas une solution.
Ma mère se lève brusquement.
— Tu veux une solution ? Retourne voir Sophie ! Peut-être qu’elle t’accueillera, elle !
La gifle n’est pas physique mais elle fait mal. Je me revois il y a trois ans, valise à la main devant la porte de Sophie, lui annonçant que je partais pour une autre femme. Je me revois pleurer dans la voiture en quittant la maison familiale.
Camille éclate en sanglots. Léo hurle maintenant. Je sens que tout m’échappe.
— Pourquoi tu fais ça ? Pourquoi tu nous rejettes ?
Ma mère baisse les yeux.
— Parce que tu as détruit ta famille pour une histoire qui ne tient pas debout… Et tu veux que je cautionne ça ?
Je voudrais lui hurler que j’ai changé, que j’ai compris mes erreurs. Mais les mots restent coincés dans ma gorge.
Camille sort précipitamment avec Léo dans les bras. Je reste là, face à ma mère.
— Tu sais ce que c’est d’être rejeté par ses propres enfants ?
Elle me regarde enfin avec une tristesse immense.
— Oui… Et c’est ce que tu as fait à tes filles.
Je m’effondre sur le fauteuil. Les souvenirs affluent : les anniversaires ratés, les messages sans réponse, les regards fuyants de Lucie et Manon quand je viens les chercher un week-end sur deux.
— Je voulais juste être heureux…
Ma mère soupire :
— Le bonheur ne se construit pas sur les ruines des autres.
Je sors dans la nuit froide de Montreuil retrouver Camille et Léo sur le trottoir. Elle pleure encore. Je la serre contre moi sans savoir quoi dire.
— On va faire comment maintenant ?
Je n’ai pas de réponse. Je pense à appeler Sophie, mais je sais qu’elle refusera de m’aider. J’ai tout perdu : ma famille d’avant, le respect de ma mère, et peut-être bientôt mon foyer actuel.
En rentrant dans notre petit studio précaire du 93, je regarde Camille endormie contre Léo et je me demande : est-ce qu’on mérite vraiment d’être punis toute notre vie pour une erreur ? Est-ce qu’on peut réparer ce qu’on a brisé ? Vous en pensez quoi, vous ?