Ma fille veut revenir à la maison : j’accepte elle et ma petite-fille, mais pas son mari
« Maman, je t’en supplie… Je n’ai nulle part où aller. »
La voix de Camille tremble au téléphone. Je serre le combiné si fort que mes jointures blanchissent. Il est 22h, la pluie martèle les carreaux de mon petit appartement à Nantes. Je sens mon cœur battre à tout rompre. Ma fille, ma petite-fille…
Mais je sais ce qu’elle va demander ensuite. Je l’entends déjà dans le silence qui suit : « Julien aussi… »
Je ferme les yeux. Les souvenirs me reviennent comme des gifles : Julien, affalé sur mon canapé, une bière à la main, les pieds sur la table basse, me lançant un « T’as pas un truc à grignoter ? » sans même un merci. Les disputes avec Camille, les cris étouffés derrière la porte de leur chambre, les pleurs de la petite Lucie…
« Camille, tu sais ce que je pense de Julien. Je ne veux plus revivre ça. Toi et Lucie, oui. Mais lui… Non. »
Un silence glacial s’installe. J’entends Camille retenir un sanglot.
« Mais maman… On est une famille… »
Je sens la culpabilité me ronger, mais je reste ferme. « Je ne laisserai jamais Lucie sans toit. Ni toi. Mais Julien doit se débrouiller. Il a eu sa chance ici, tu le sais. »
Je raccroche en tremblant. Je me sens cruelle, mais aussi soulagée. Je ne supporterai plus jamais l’humiliation de voir mon chez-moi envahi par cet homme qui ne respecte rien ni personne.
Le lendemain matin, Camille arrive avec Lucie dans les bras, les yeux rougis par le manque de sommeil et les larmes. Julien n’est pas là. Elle pose timidement une valise dans l’entrée.
« Merci maman… » murmure-t-elle.
Je prends Lucie dans mes bras. Elle s’accroche à mon cou comme si elle avait peur qu’on la sépare encore de quelque chose ou de quelqu’un.
Les premiers jours sont étranges. Camille ne parle presque pas. Elle passe son temps à envoyer des messages sur son téléphone, sûrement à Julien. Lucie, elle, retrouve vite ses repères : elle réclame ses dessins animés préférés, court après le chat, rit aux éclats quand je lui prépare des crêpes.
Mais le soir venu, j’entends Camille pleurer dans sa chambre. Un soir, je frappe doucement à sa porte.
« Camille… Tu veux en parler ? »
Elle secoue la tête, puis finit par s’effondrer dans mes bras.
« Je ne sais plus quoi faire maman… Je l’aime encore, mais il me fait du mal. Il ne trouve pas de boulot stable, il boit trop… Mais il dit qu’il va changer ! Et puis Lucie a besoin de son père… »
Je sens la colère monter en moi.
« Tu crois vraiment qu’elle a besoin d’un père qui crie et qui casse tout quand il est en colère ? Tu crois que c’est ça, une famille ? »
Camille me regarde avec des yeux pleins de détresse.
« Mais je ne veux pas être seule… Je n’ai que toi maintenant… »
Je la serre contre moi. J’aimerais pouvoir lui donner toutes les réponses, mais je suis fatiguée aussi. Fatiguée d’avoir toujours été celle qui ramasse les morceaux.
Les semaines passent. Julien appelle parfois ; Camille sort pour lui parler dans la rue, loin de moi. Un soir, il débarque devant l’immeuble. Il hurle son nom sous mes fenêtres.
« Camille ! Laisse-moi rentrer ! C’est chez moi aussi ! »
Je descends en furie.
« Ici ce n’est pas chez toi ! Pars avant que j’appelle la police ! »
Il me regarde avec haine et mépris.
« Vous êtes toutes pareilles dans cette famille ! Toujours à juger ! Vous croyez que vous valez mieux que moi ?! »
Je claque la porte derrière moi en remontant l’escalier, le cœur battant à tout rompre.
Cette nuit-là, Camille ne dort pas. Moi non plus.
Le lendemain matin, elle m’annonce qu’elle va chercher un appartement social avec l’aide d’une assistante sociale du quartier.
« Je ne veux pas t’imposer ça plus longtemps… Mais je ne sais pas si j’aurai la force de ne pas retourner vers lui… Il me manque parfois… Même si je sais qu’il me détruit… »
Je prends sa main.
« Tu n’es pas seule Camille. Je serai toujours là pour toi et pour Lucie. Mais tu dois penser à vous deux d’abord. Pas à lui. Il doit apprendre à se débrouiller sans toi. Tu as déjà tout donné… Trop donné… »
Les mois passent. Camille trouve un petit studio dans le quartier populaire de Malakoff. Elle y emménage avec Lucie. Je l’aide comme je peux : je garde Lucie après l’école, je fais les courses quand elle n’a plus rien dans le frigo.
Julien rôde parfois autour de leur immeuble ; il promet qu’il va changer, qu’il va trouver du travail, qu’il va arrêter de boire… Mais Camille tient bon cette fois-ci.
Un soir d’hiver, alors que je raccompagne Lucie chez elles après une journée passée ensemble, Camille me prend dans ses bras.
« Merci maman… Si tu ne m’avais pas dit non pour Julien… Je crois que je serais encore prisonnière aujourd’hui… »
Je sens mes yeux s’embuer de larmes.
Parfois je me demande : ai-je eu raison d’imposer cette limite ? Ai-je été trop dure ? Ou bien est-ce cela aussi, aimer ses enfants : savoir dire non pour mieux les protéger ? Qu’en pensez-vous ?