Ma fille, mon miroir : L’histoire d’une mère face au regard des autres

« Tu vas vraiment l’appeler Capucine ? » La voix de ma mère résonne dans la cuisine, tranchante comme une lame. Je serre plus fort le petit body en coton brodé que je viens de sortir du sac Dior. Capucine dort paisiblement dans son couffin, inconsciente de la tempête qui gronde autour d’elle. J’ai toujours rêvé d’une vie différente de celle que j’ai connue à Saint-Étienne : pas de fins de mois difficiles, pas de vêtements récupérés chez les cousins, pas de prénoms choisis par défaut. Alors oui, j’ai voulu que ma fille ait tout ce que je n’ai jamais eu.

« Camille, tu te rends compte du ridicule ? » poursuit ma sœur, Élodie, en jetant un regard dédaigneux au petit bonnet griffé Jacquemus posé sur la table. « Elle a six semaines ! Tu crois qu’elle va s’en souvenir ? »

Je ravale mes larmes. Je ne veux pas pleurer devant elles. Je veux être forte, montrer que je sais ce que je fais. Mais au fond, je doute. Est-ce que j’en fais trop ? Est-ce que Capucine sera heureuse dans ce monde où tout le monde semble vouloir la juger avant même qu’elle ne sache parler ?

Le soir, quand la maison s’apaise enfin, je m’assois près du berceau. Capucine respire doucement, sa petite main serrée autour de mon doigt. Je lui murmure : « Tu es unique, ma chérie. Tu mérites le meilleur. » Mais une voix intérieure me souffle : « Et si le meilleur n’était pas ce que tu crois ? »

Les réseaux sociaux n’ont rien arrangé. J’ai posté une photo de Capucine dans sa robe Burberry pour annoncer sa naissance. Les commentaires ont fusé :

— « Pauvre gamine, déjà victime du snobisme de sa mère ! »
— « Capucine ? Sérieusement ? On dirait un nom de lapin ! »
— « Pourquoi ne pas lui laisser une enfance normale ? »

Je me suis défendue, maladroitement : « Je veux juste qu’elle ait confiance en elle, qu’elle se sente spéciale… » Mais personne ne voulait entendre mes raisons. Même Paul, mon compagnon, a fini par me reprocher mes choix.

« Camille, tu crois pas qu’on devrait économiser pour plus tard ? Elle grandit si vite… »

Je l’ai regardé avec colère : « Tu ne comprends pas ! Moi, j’ai grandi avec rien. Je veux qu’elle ait tout ! »

Mais la vérité, c’est que je me sens seule. Seule contre tous. Seule avec mes doutes et mes rêves de perfection. Parfois, la nuit, je me demande si je ne cherche pas à réparer mon enfance à travers elle. Si je ne projette pas sur Capucine mes propres frustrations.

Un dimanche matin, alors que je promène Capucine dans le parc du quartier chic où nous venons d’emménager, une voisine m’aborde :

— « Elle est adorable… Comment s’appelle-t-elle ? »
— « Capucine », je réponds fièrement.

Elle esquisse un sourire gêné : « C’est… original. » Puis son regard glisse sur la poussette dernier cri et les chaussons en cuir souple.

Je sens le jugement partout. Dans les yeux des autres mamans à la crèche qui chuchotent quand j’arrive. Dans les conversations de famille où l’on me reproche de « gâter » ma fille. Même dans les regards furtifs des passants.

Un soir, ma mère m’appelle :

— « Camille, tu sais que je t’aime… Mais tu devrais penser à ce qui compte vraiment. Les enfants ont besoin d’amour, pas de marques. »

Je raccroche sans répondre. Je me sens incomprise. Pourtant, ses mots résonnent en moi.

Quelques jours plus tard, Capucine tombe malade. Une simple bronchiolite, mais pour moi c’est la fin du monde. Je passe des nuits blanches à veiller sur elle, oubliant les vêtements de luxe et les accessoires hors de prix. Tout ce qui compte, c’est qu’elle respire mieux, qu’elle aille bien.

Quand elle guérit enfin, je réalise que je n’ai pas pris une seule photo d’elle pendant ces jours-là. Pas de robe griffée, pas de mise en scène parfaite. Juste nous deux, dans la pénombre de sa chambre, son souffle contre ma peau.

Paul me prend dans ses bras : « Tu vois… C’est ça être parents. On s’en fout du reste. »

Je fonds en larmes. Pour la première fois depuis longtemps, je me sens légère.

Aujourd’hui encore, je continue d’acheter de jolies choses pour Capucine. Mais j’essaie d’écouter mon cœur plutôt que le regard des autres ou mes propres blessures d’enfance.

Parfois je me demande : est-ce qu’on peut vraiment protéger nos enfants du jugement du monde ? Ou bien faut-il d’abord apprendre à s’accepter soi-même ? Qu’en pensez-vous ?