Les Mensonges du Samedi : Chronique d’une Trahison

« Tu pars déjà ? » Ma voix tremble à peine, mais Laurent ne s’en rend même pas compte. Il enfile son vieux pull en flanelle, attrape la sacoche à moulinet et lance, sans me regarder : « Je serai là dimanche soir. » L’odeur d’essence flotte derrière lui, puis la porte claque. Je reste seule dans la cuisine, le café refroidit dans ma tasse. Depuis des mois, c’est le même scénario : il part à l’aube, soi-disant pour pêcher avec ses amis près du lac de Saint-Point. Mais il ne ramène jamais rien, pas même une égratignure de soleil sur la peau. Les filets de poisson du supermarché, emballés dans du plastique, sont censés me convaincre qu’il a passé la journée à attendre une touche.

Je m’appelle Claire, j’ai 38 ans, et je vis à Besançon. J’ai cru longtemps que la routine était le prix de la stabilité. Mais depuis quelque temps, je sens que quelque chose cloche. Laurent n’est plus le même. Il rentre sans fatigue, sans odeur de vase ou de tabac froid. Il ne me raconte plus les histoires de ses amis pêcheurs, ni les blagues sur les brochets trop petits pour être gardés.

Ce samedi-là, alors que je range la vaisselle, la sonnette retentit. C’est Madame Dubois, ma voisine du dessus. Elle hésite un instant sur le palier, puis me lance à voix basse : « Claire… Je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais… J’ai vu Laurent hier soir. Il n’était pas au bord du Doubs. Il était au café Le Balto, avec une femme… Ils avaient l’air… proches. »

Le sol se dérobe sous mes pieds. Je bredouille un merci, referme la porte et m’effondre sur une chaise. Les images défilent : Laurent qui sourit à une autre, qui lui raconte peut-être les mêmes histoires qu’à moi autrefois. Je me sens trahie, ridicule d’avoir cru à ses histoires de pêche.

Le soir venu, j’appelle mon amie Sophie. « Tu crois qu’il me trompe ? » Elle soupire : « Claire, tu le sais déjà au fond de toi. Mais tu dois en avoir le cœur net. »

Je passe la nuit à tourner en rond. Le lendemain matin, je décide de le suivre. Je prends la vieille Clio de mon père et me gare discrètement près du garage où il range sa voiture. À 6h45, il sort, sac sur l’épaule, et prend la direction opposée au lac. Mon cœur bat la chamade. Je le suis jusqu’à un petit immeuble du quartier Battant. Il entre sans se retourner.

Je reste là, glacée par la peur et la colère. Une heure plus tard, il ressort… accompagné d’une femme brune, élégante, qui rit à ses côtés. Ils montent dans sa voiture et disparaissent.

Je rentre chez moi en pleurant toutes les larmes de mon corps. Quand il revient le dimanche soir, je l’attends dans le salon, les yeux rouges mais résolus.

— Tu as passé un bon week-end ?
Il hésite un instant avant de répondre :
— Oui… On a eu du mal avec les carpes cette fois.
— Ah oui ? Et tu étais seul ?
Il me regarde enfin dans les yeux. Je sens qu’il comprend que je sais.
— Claire…
Sa voix se brise. Il s’assied en face de moi.
— Je suis désolé. Je ne voulais pas te blesser…
— Depuis combien de temps ?
Il baisse la tête.
— Presque un an.

Le silence s’installe, lourd comme un orage d’été. Je sens la colère monter, mais aussi un immense vide. Tout ce que nous avons construit ensemble me semble soudain factice.

Les jours suivants sont un enfer. Ma mère m’appelle pour savoir pourquoi je n’ai pas répondu à ses messages ; je n’ose rien dire. Au travail, je fais semblant de sourire alors que j’ai envie de hurler.

Laurent dort sur le canapé. Il tente de s’excuser, d’expliquer qu’il était perdu, qu’il ne voulait pas me perdre mais qu’il ne savait plus comment nous retrouver.

Un soir, alors que je range les courses dans la cuisine, il s’approche timidement :
— Claire… Est-ce qu’on peut essayer de recoller les morceaux ?
Je le regarde longuement. J’aimerais lui hurler dessus, lui jeter sa trahison à la figure. Mais je suis fatiguée de me battre contre des fantômes.

— Je ne sais pas si j’en ai encore la force…

Les semaines passent et rien ne s’arrange vraiment. Les repas sont silencieux ; nos amis évitent le sujet quand ils viennent dîner. Ma sœur me conseille de partir : « Tu mérites mieux que ça ! » Mais partir signifierait tout recommencer à zéro : vendre l’appartement, expliquer aux enfants pourquoi papa ne sera plus là tous les soirs.

Un dimanche matin, alors que Laurent prépare du café comme si de rien n’était, je craque :
— Pourquoi elle ? Pourquoi tu as eu besoin d’aller voir ailleurs ?
Il soupire :
— Je ne sais pas… Peut-être parce que j’avais l’impression d’étouffer ici… Peut-être parce qu’on ne se parlait plus vraiment…

Ses mots résonnent en moi comme une gifle. Et si j’avais aussi ma part de responsabilité ? Avons-nous laissé la routine tuer notre amour ? Ou bien est-ce simplement lui qui n’a pas eu le courage d’affronter nos problèmes ?

Aujourd’hui encore, je ne sais pas si je dois lui pardonner ou tourner la page définitivement. Mais une chose est sûre : je ne veux plus vivre dans le mensonge.

Est-ce que l’amour peut survivre à une telle trahison ? Ou bien faut-il savoir partir pour se reconstruire ? Qu’en pensez-vous ?