« Je ne paierai pas pour les dettes de tes parents » – Quand la maladie de ma mère a brisé mon mariage
« Tu veux vraiment qu’on hypothèque notre avenir pour ta mère ? »
La voix de Julien résonne encore dans ma tête, tranchante comme une lame. Ce soir-là, dans notre petit appartement de Lyon, je me suis sentie étrangère à l’homme que j’aimais depuis dix ans. Ma mère venait d’être diagnostiquée d’un cancer du sein agressif. Mon père, retraité de la SNCF, croulait déjà sous les dettes après des années à jongler avec les fins de mois. J’étais fille unique. Il ne restait que moi.
Assise sur le canapé, les mains tremblantes, j’ai tenté d’expliquer à Julien :
— Elle n’a personne d’autre. Papa est dépassé, et la sécu ne couvre pas tout. Je ne peux pas la laisser tomber.
Il a soupiré, exaspéré :
— Claire, on a un crédit sur le dos, tu veux qu’on s’endette encore ? Tes parents ont toujours vécu au-dessus de leurs moyens. Je ne vais pas payer pour leurs erreurs.
J’ai senti la colère monter. Comment pouvait-il parler ainsi de mes parents ? N’avait-il pas vu ma mère pleurer de douleur, mon père s’effondrer dans la cuisine ?
Les semaines suivantes ont été un enchaînement de rendez-vous médicaux, de factures qui s’accumulaient sur la table basse, de nuits blanches à pleurer en silence. Julien s’est éloigné. Il rentrait tard du travail, évitait le sujet. Un soir, alors que je rentrais de l’hôpital, il m’attendait dans le salon, une enveloppe à la main.
— C’est quoi ?
— La lettre de la banque. Si tu fais ce virement à tes parents, on passe dans le rouge.
J’ai éclaté :
— Tu préfères voir ma mère mourir parce qu’on n’a pas 2 000 euros ?
Il s’est levé brusquement :
— Ce n’est pas mon problème ! Je ne souffrirai pas à cause des dettes de ta famille !
Le silence qui a suivi était plus lourd que n’importe quel cri. J’ai compris ce soir-là que quelque chose s’était brisé entre nous.
Ma mère a commencé la chimiothérapie. Je passais mes soirées à ses côtés, à lui tenir la main pendant qu’elle vomissait dans une bassine en plastique. Mon père me regardait avec des yeux vides, honteux de ne pas pouvoir subvenir aux besoins de sa femme. Un jour, il m’a murmuré :
— Tu devrais penser à toi, Claire. Ne gâche pas ton couple pour nous.
Mais comment choisir ? Comment abandonner celle qui m’a donné la vie ?
Julien est devenu un étranger. Il ne me touchait plus. Il évitait même mon regard au petit-déjeuner. Un matin, il a posé sa tasse avec fracas :
— Tu passes plus de temps chez eux qu’ici. On dirait que tu as déjà choisi.
J’ai voulu lui crier que je l’aimais encore, que je faisais juste ce que n’importe quelle fille ferait. Mais les mots sont restés coincés dans ma gorge.
Les disputes sont devenues quotidiennes. Un soir, il a claqué la porte après m’avoir lancé :
— Je ne veux pas finir ruiné à cause des problèmes des autres !
J’ai pleuré toute la nuit. J’ai repensé à notre mariage à Annecy, à nos promesses d’être là « dans la joie comme dans l’épreuve ». Mais personne ne m’avait préparée à ce genre d’épreuve.
Un matin d’avril, ma mère a fait une rechute. Les médecins ont parlé d’un traitement expérimental non remboursé. Il fallait 5 000 euros. J’ai vidé mon livret A, vendu mes bijoux de famille. Julien m’a regardée faire sans un mot.
Quelques jours plus tard, il a posé une valise dans l’entrée.
— Je vais chez mon frère. J’en peux plus, Claire.
Je l’ai regardé partir sans réussir à le retenir.
Ma mère est morte deux mois plus tard. Dans ses derniers instants, elle m’a serrée contre elle :
— Tu as été une fille merveilleuse… Ne regrette rien.
Après l’enterrement, j’ai erré dans notre appartement vide. Julien n’est jamais revenu. J’ai appris par des amis qu’il avait demandé le divorce.
Aujourd’hui encore, je me demande si j’ai fait le bon choix. J’ai perdu mon mari, ma mère… mais je n’aurais jamais pu vivre avec l’idée de l’avoir abandonnée.
Est-ce qu’on peut vraiment demander à quelqu’un de choisir entre sa famille et son couple ? Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?