J’ai envoyé mon fils chez lui avec un petit-fils malade. C’était ma faute.
« Maman, tu es sûre que ça va aller ? Paul a eu un peu de fièvre ce matin… »
La voix de Julien tremblait d’inquiétude alors qu’il déposait le sac à langer sur la table de la cuisine. Camille, sa femme, jetait des regards nerveux vers la porte d’entrée, impatiente de s’échapper pour leur première soirée en amoureux depuis des mois. Je leur ai souri, rassurante :
— Mais oui, allez-y ! Profitez-en, je m’occupe de tout.
Paul, mon petit-fils de trois ans, me tendait les bras. Ses joues étaient roses, mais il riait, heureux d’être avec sa « Mamie ». Je n’ai pas voulu voir ce que je redoutais : la fatigue dans ses yeux, la toux sèche qui commençait à percer sous ses éclats de rire.
La soirée a commencé dans la joie. Nous avons construit une cabane avec des draps dans le salon, mangé des crêpes au chocolat et regardé « Le Petit Prince » en pyjama. Mais vers 21h, Paul s’est mis à frissonner. Il s’est blotti contre moi, brûlant de fièvre.
Je me suis souvenue des conseils de ma mère : « Un peu de sirop, un gant d’eau fraîche sur le front, et ça passe. » J’ai hésité à appeler Julien ou Camille. Je ne voulais pas gâcher leur soirée. J’ai donné à Paul du paracétamol et l’ai couché dans la chambre d’amis.
Mais la nuit a été longue. Paul s’est réveillé en pleurant, trempé de sueur. Il avait du mal à respirer. J’ai paniqué. Je l’ai pris dans mes bras, j’ai ouvert la fenêtre pour faire entrer un peu d’air frais. Je me suis sentie impuissante, vieille, dépassée par les gestes à avoir.
À minuit passé, Julien et Camille sont rentrés plus tôt que prévu. Ils ont trouvé Paul blotti contre moi, haletant. Camille a crié :
— Mais maman, pourquoi tu ne nous as pas appelés ? Il est brûlant !
Julien m’a lancé un regard que je n’oublierai jamais : mélange de peur et de reproche.
— On va aux urgences !
Dans la voiture, je me suis retrouvée seule sur le trottoir, le cœur serré par la culpabilité. J’ai repensé à toutes ces fois où j’avais jugé ma belle-fille trop inquiète, trop « moderne » avec ses applications santé et ses thermomètres électroniques. Moi, j’avais élevé trois enfants sans tout ça… Mais avais-je eu raison ?
Le lendemain matin, Julien m’a appelée depuis l’hôpital Necker. Paul avait une bronchite aiguë. Il allait rester en observation quelques jours. Sa voix était froide :
— Maman, il faut que tu comprennes que ce n’est plus comme avant. On ne prend pas de risques avec la santé des enfants.
J’ai pleuré toute la journée. J’ai repensé à mon enfance en Auvergne, aux remèdes de grand-mère et à la confiance aveugle dans les « trucs » familiaux. Mais aujourd’hui ? Les temps ont changé. Les enfants sont plus fragiles ou c’est nous qui sommes plus prudents ?
Camille ne m’a pas appelée pendant plusieurs jours. J’ai senti le fossé se creuser entre nous. J’avais voulu bien faire, protéger leur soirée, mais j’avais mis Paul en danger.
Une semaine plus tard, ils sont venus me voir avec Paul. Il allait mieux mais restait fatigué. Camille m’a dit doucement :
— On sait que tu l’aimes. Mais il faut qu’on se fasse confiance… dans les deux sens.
Julien a ajouté :
— On veut que tu continues à voir Paul. Mais il faut qu’on parle des consignes ensemble.
J’ai acquiescé en silence, honteuse mais soulagée qu’ils ne me tournent pas le dos.
Depuis ce jour-là, je n’ose plus improviser. Je demande avant d’agir. Je lis les notices des médicaments au lieu de me fier à ma mémoire ou aux souvenirs d’une autre époque.
Mais parfois je me demande : ai-je perdu ma place de grand-mère parce que je n’ai pas su évoluer ? Ou bien est-ce simplement le prix à payer pour aimer sans blesser ?
Et vous… avez-vous déjà eu peur d’être dépassé par le monde qui change autour de vous ?