Entre Silence et Espoir : Le Dernier Printemps de Maman
— Claire, tu peux venir ?
La voix de Maman résonne, faible, depuis le salon. Je laisse tomber mon torchon sur l’évier, le cœur déjà serré. Depuis quelques semaines, elle n’est plus tout à fait la même. Son regard s’égare, ses mains tremblent, et moi, je fais semblant de ne rien voir. Mais ce matin-là, tout bascule.
Je la trouve assise sur le canapé, pâle comme un linge. Elle me regarde avec une détresse que je n’ai jamais vue chez elle. « J’ai mal… ici », murmure-t-elle en posant la main sur sa poitrine. Je sens la panique monter. Je veux appeler le SAMU, mais elle m’arrête : « Non, pas encore… Reste avec moi. »
Je m’assieds à côté d’elle, je prends sa main. Elle est glacée. Je voudrais pleurer mais je me retiens. Je suis l’adulte maintenant, c’est à moi de tenir bon. Pourtant, dans ma tête, c’est le chaos : pourquoi elle ? Pourquoi maintenant ?
Maman a toujours été le pilier de notre famille. Après la mort de Papa il y a dix ans, elle a tout assumé : les factures, les disputes avec mon frère Luc qui ne vient plus jamais nous voir, les petits boulots pour que je puisse finir mes études. Et maintenant, c’est elle qui s’effondre.
Le médecin arrive vite. Il parle de crise cardiaque, d’hospitalisation d’urgence. Je sens mes jambes flancher. Dans l’ambulance, je serre la main de Maman aussi fort que je peux. Elle me sourit faiblement : « N’aie pas peur, ma fille. »
À l’hôpital Édouard-Herriot, les heures s’étirent comme des siècles. Je prie sans y croire vraiment. J’ai grandi dans une famille catholique mais j’ai perdu la foi depuis longtemps. Pourtant, ce soir-là, dans la petite chapelle de l’hôpital, je m’effondre sur un banc et je murmure : « S’il te plaît… Laisse-moi encore un peu de temps avec elle. »
Les jours passent. Maman survit mais reste fragile. Luc débarque enfin, l’air gêné, les mains dans les poches. Il évite mon regard.
— Tu aurais pu prévenir plus tôt.
Je me retiens de hurler. Où était-il quand elle avait besoin de lui ? Mais je ravale ma colère ; ce n’est pas le moment.
Les semaines suivantes sont un mélange d’espoir et de désespoir. Maman rentre à la maison mais tout a changé. Elle ne peut plus monter les escaliers sans s’arrêter tous les deux pas. Je dois l’aider à s’habiller, à manger… Parfois elle pleure en silence.
Un soir, alors que je lui prépare une tisane, elle me dit :
— Tu sais Claire… Je crois que j’ai peur de partir.
Je m’assieds à côté d’elle et je prends sa main.
— Moi aussi j’ai peur, Maman.
Elle ferme les yeux et commence à prier à voix basse. Je l’écoute sans bouger. Les mots me semblent étrangers mais je sens une chaleur étrange m’envahir. Peut-être que prier ne sert à rien… ou peut-être que ça aide juste à tenir debout quand tout s’écroule.
Luc vient plus souvent maintenant. Il apporte des fleurs, il fait rire Maman avec ses blagues maladroites. Petit à petit, on se retrouve tous les trois autour de la table comme avant… ou presque.
Mais la maladie gagne du terrain. Un matin d’avril, Maman ne se réveille pas tout de suite. Son souffle est court, son visage apaisé.
Je m’allonge près d’elle et je lui murmure :
— Tu peux partir si tu veux… Je serai forte.
Elle ouvre les yeux une dernière fois et sourit :
— Je t’aime ma fille… Prends soin de ton frère.
Elle s’éteint doucement dans mes bras.
Les jours qui suivent sont flous. L’enterrement à Sainte-Blandine est sobre ; Luc pleure sans retenue pour la première fois depuis des années. Après la cérémonie, on reste longtemps sur le parvis de l’église, incapables de rentrer chez nous.
La maison est vide sans elle. Mais chaque soir, je m’assieds dans la cuisine et je ferme les yeux quelques minutes pour prier – ou juste penser très fort à elle. Luc et moi parlons plus qu’avant ; on se dispute parfois mais on se serre aussi dans les bras quand le chagrin est trop lourd.
Aujourd’hui encore, je me demande : est-ce la foi qui m’a sauvée ou simplement l’amour ? Est-ce que prier change vraiment quelque chose… ou est-ce juste une façon d’espérer quand on n’a plus rien d’autre ?
Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?