Entre l’argent et l’amour : l’histoire de Claire et Monsieur Morel

« Tu n’as pas honte, Claire ? » La voix de ma mère résonne encore dans l’entrée, tranchante comme une lame. Je serre la poignée de mon sac, le cœur battant à tout rompre. Je viens d’annoncer à mes parents que je fréquente Monsieur Morel, le notaire du quartier, un homme de cinquante-sept ans, veuf depuis longtemps, respecté mais discret. Je savais que ce serait difficile, mais je n’imaginais pas à quel point.

Mon père, silencieux, fixe la table. Ma mère, elle, ne décolère pas : « Tu pourrais avoir tous les garçons de Paris ! Et tu choisis… lui ? »

Je voudrais leur expliquer. Leur dire que ce n’est pas une question d’âge ou d’argent. Que ce n’est pas parce qu’il possède un bel appartement dans le 16e arrondissement ou qu’il roule en Citroën DS ancienne. Mais comment leur faire comprendre que c’est son regard qui m’a sauvée ? Que c’est sa voix grave qui a calmé mes angoisses quand j’ai perdu mon emploi à la librairie ?

Tout a commencé un soir de pluie, alors que je pleurais sur un banc du square Saint-Lambert. Il s’est assis à côté de moi, sans un mot. Il m’a tendu un mouchoir en tissu brodé de ses initiales : « C’est plus élégant que le papier, vous ne trouvez pas ? » J’ai ri malgré moi. Et c’est ainsi que tout a commencé.

Mais dans notre quartier du XVe arrondissement, les rumeurs vont vite. Les voisines chuchotent sur mon passage. « Elle doit vouloir son héritage », souffle Madame Lefèvre à la boulangère. Même mes amis se détournent : « Claire, tu mérites mieux qu’un vieux monsieur ! »

Je me débats entre deux mondes. Celui de ma famille, modeste mais fière, qui rêve pour moi d’un avenir simple et sans histoires. Et celui de Monsieur Morel, fait de dîners feutrés, de conversations profondes et d’une tendresse que je n’ai jamais connue ailleurs.

Un soir, alors que je rentre chez lui après une dispute avec mes parents, il me serre dans ses bras :
— Tu sais, Claire, je ne veux pas être la cause de ta tristesse.
— Ce n’est pas toi… C’est tout le reste. Les regards, les jugements…
Il me caresse les cheveux :
— On ne vit qu’une fois. Et l’amour ne se commande pas.

Mais l’argent s’immisce partout. Sa fille unique, Camille, débarque un dimanche matin sans prévenir. Elle me jauge du regard :
— Vous comptez rester longtemps dans la vie de mon père ?
Je balbutie une réponse maladroite. Camille hausse les épaules :
— Faites attention à ce que vous cherchez ici.

Je comprends alors que je ne serai jamais acceptée. Que pour eux, je ne serai jamais qu’une opportuniste. Pourtant, je n’ai jamais rien demandé à Monsieur Morel. Je refuse même ses cadeaux : « Je veux juste toi », lui dis-je souvent.

Mais la pression monte. Ma mère tombe malade d’inquiétude. Mon frère me traite de « traîtresse » à la famille. Je perds mon travail à cause des commérages qui arrivent jusqu’à mon patron.

Un soir d’hiver, alors que Paris s’endort sous la neige, je me retrouve seule sur le Pont Mirabeau. Je regarde la Seine couler et j’entends la voix de mon père dans ma tête : « Tu vas finir malheureuse… »

Je rentre chez Monsieur Morel en larmes. Il me prend la main :
— Claire, si tu veux partir… Je comprendrai.
Mais je n’arrive pas à partir. Je l’aime trop. Pourtant, chaque jour devient plus difficile.

Un matin, Camille revient avec un notaire :
— Mon père va modifier son testament. Vous comprenez ce que cela implique ?
Je sens la colère monter :
— Je ne veux rien de votre héritage !
Mais personne ne me croit.

Les mois passent. L’amour devient clandestin. Nous nous cachons pour éviter les regards. Je vis entre deux mondes qui se déchirent.

Un soir d’été, alors que nous dînons sur le balcon, Monsieur Morel me regarde longuement :
— Tu sais… J’ai peur pour toi. Peur que tu sacrifies ta vie pour moi.
Je prends sa main :
— Ce n’est pas un sacrifice si c’est pour toi.

Mais au fond de moi, le doute grandit. Suis-je prête à tout perdre pour cet amour ? À vivre dans l’ombre des soupçons et des jalousies ?

La veille de mon anniversaire, ma mère m’appelle en pleurs :
— Reviens à la maison… S’il te plaît…
Je sens mon cœur se briser en deux.

Ce soir-là, je regarde Monsieur Morel dormir paisiblement à mes côtés et je me demande :
« Est-ce qu’on peut vraiment aimer envers et contre tous ? Est-ce que le bonheur vaut tous ces sacrifices ? »