Deux mariages, aucun conte de fées : Le syndrome de Cendrillon d’Émilie

« Tu ne comprends donc jamais rien, Marc ! » Ma voix résonne dans la cuisine, brisant le silence du petit appartement parisien. Marc, mon deuxième mari, lève à peine les yeux de son ordinateur. Il soupire, fatigué, comme s’il portait le poids de toutes mes attentes sur ses épaules. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes. Je voudrais qu’il me regarde, qu’il me voie vraiment. Mais il ne le fait pas. Pas plus que Paul, mon premier mari, ne l’a fait.

Je m’appelle Émilie, j’ai trente-huit ans, et je suis deux fois mariée, deux fois déçue. Petite, ma mère me répétait : « Un jour, ma chérie, tu trouveras ton prince. Il t’aimera, te couvrira de cadeaux, et tu seras heureuse. » J’ai grandi dans une petite ville de la Loire, bercée par les contes de fées et les rêves de princesses. Mon père, absent, laissait un vide que je comblais avec des histoires où l’amour triomphe toujours.

À la fac de lettres à Lyon, j’ai rencontré Paul. Il était doux, timide, passionné de poésie. Il m’a offert des roses rouges pour notre premier anniversaire, m’a écrit des lettres enflammées. J’étais persuadée d’avoir trouvé mon prince. Mais la réalité s’est vite imposée : Paul était rêveur, mais pas ambitieux. Il préférait ses livres à la vie réelle, et moi, j’avais soif d’attention, de reconnaissance. Nos disputes devenaient de plus en plus fréquentes. « Tu ne me regardes jamais, Paul ! » criais-je, espérant une réaction. Mais il se murait dans le silence, fuyant le conflit.

Après trois ans de mariage, j’ai compris que je n’étais pas heureuse. Pire, je me sentais invisible. La décision de divorcer a été un déchirement, surtout pour ma mère qui voyait déjà son rêve de conte de fées s’effondrer. « Tu n’as pas assez essayé, Émilie. Un mariage, ça se travaille ! » Mais moi, je voulais être aimée sans condition, sans effort. Je voulais être la reine de son cœur.

C’est à Paris, lors d’un séminaire professionnel, que j’ai rencontré Marc. Il était tout l’opposé de Paul : sûr de lui, brillant, cadre dans une grande entreprise. Il m’a séduite par son assurance, ses dîners dans des restaurants chics, ses cadeaux luxueux. J’ai cru que cette fois, j’avais trouvé la bonne recette du bonheur. Nous nous sommes mariés rapidement, dans une mairie du 16e arrondissement, entourés de collègues plus que d’amis.

Mais très vite, la routine s’est installée. Marc travaillait tard, voyageait beaucoup. Je passais mes soirées seule, à regarder des séries ou à scroller sur Instagram, jalousant la vie parfaite des autres. La question des enfants est devenue un sujet brûlant. Après des mois d’essais infructueux, les médecins ont été formels : je ne pourrai pas avoir d’enfants. Le verdict est tombé comme une sentence. Marc a encaissé la nouvelle sans un mot, puis il s’est éloigné, comme si mon incapacité à enfanter faisait de moi une femme incomplète.

Les repas de famille sont devenus un supplice. Ma belle-mère, Madame Lefèvre, me lançait des piques à peine voilées : « Il faut savoir donner un héritier à la famille, Émilie. » Ma propre mère, elle, me regardait avec tristesse, murmurant : « Peut-être que tu n’as pas choisi le bon homme, encore une fois… »

Un soir, alors que Marc rentrait d’un voyage à Londres, je l’ai attendu dans le salon, décidée à lui parler. « Marc, est-ce que tu m’aimes encore ? » Il a haussé les épaules, l’air las. « Je ne sais pas, Émilie. Tu veux toujours plus, et moi, je n’ai plus rien à donner. »

Je me suis effondrée. J’ai compris que je cherchais chez les autres ce que je n’arrivais pas à trouver en moi : l’amour, la reconnaissance, la certitude d’être unique. J’ai passé des nuits à pleurer, à ressasser mes échecs. Pourquoi aucun homme ne pouvait-il m’aimer comme dans les contes ? Pourquoi la vie réelle était-elle si loin de mes rêves d’enfant ?

Un matin, j’ai pris une décision. J’ai quitté Marc, emportant seulement quelques vêtements et mes livres préférés. Je me suis installée dans un petit studio à Montreuil, loin des quartiers chics, loin des regards accusateurs. J’ai commencé une thérapie. J’ai appris à me regarder en face, à comprendre d’où venaient mes attentes démesurées. J’ai réalisé que le syndrome de Cendrillon m’avait enfermée dans une prison dorée, faite de rêves impossibles et de frustrations.

Aujourd’hui, je vis seule. Je n’ai pas d’enfants, pas de mari, mais j’apprends à m’aimer, à me suffire. Parfois, la solitude me pèse, surtout le dimanche soir, quand les familles se retrouvent autour d’un dîner. Mais je préfère cette vérité à l’illusion d’un bonheur fabriqué.

Je me demande souvent : combien d’entre nous vivent encore dans l’attente d’un prince qui n’existe pas ? Combien de femmes sacrifient leur bonheur réel pour un rêve qui n’est pas le leur ? Peut-être qu’il est temps de réécrire nos propres contes de fées… Qu’en pensez-vous ?