Derrière les Manches Longues : Mon Secret, Notre Épreuve
— Camille ? Tu es là ?
La clé tourne dans la serrure. Je sursaute, le cœur battant à tout rompre. Paul n’est jamais rentré à cette heure-ci. J’ai à peine le temps de tirer sur les manches de mon vieux t-shirt, bien trop large pour moi, avant qu’il n’apparaisse dans l’encadrement de la porte du salon. Nos regards se croisent. Il s’arrête net, son sac encore sur l’épaule, les sourcils froncés.
— Ça va ? Tu as l’air… bizarre.
Je baisse les yeux, tentant de cacher mes bras. Mais c’est trop tard. Les traces rouges, les plaques qui grignotent ma peau, sont là, bien visibles. Je sens la panique monter en moi, cette peur viscérale qu’il découvre enfin ce que je m’efforce de cacher depuis des années.
— Camille, c’est quoi ça ?
Sa voix tremble. Je me sens minuscule, honteuse. J’aurais voulu disparaître dans le canapé. Je bredouille :
— Ce n’est rien… Juste une petite allergie.
Mais Paul n’est pas dupe. Il s’approche, pose sa main sur mon bras malgré ma tentative de recul. Il effleure doucement les lésions, son regard se fait inquiet.
— Depuis combien de temps tu as ça ?
Je ravale mes larmes. Depuis toujours, ai-je envie de répondre. Depuis ce jour où le médecin m’a annoncé que j’étais atteinte d’une maladie auto-immune, la dermatite atopique sévère. Mais je n’ai jamais eu le courage de lui dire. Peur qu’il me voie autrement. Peur qu’il ne m’aime plus.
— Camille…
Il s’assoit à côté de moi, pose sa main sur la mienne. Je sens sa chaleur, mais aussi son trouble.
— Pourquoi tu ne m’as rien dit ?
Je craque. Les mots sortent dans un flot incontrôlable :
— J’avais peur, Paul ! Peur que tu me regardes différemment… Que tu ne veuilles plus de moi… Je me sens déjà tellement laide avec tout ça…
Il me serre fort contre lui. Mais je sens sa respiration s’accélérer, son corps tendu. Il ne dit rien pendant de longues minutes. Le silence est lourd, pesant.
Les jours suivants sont un enfer. Paul est là, mais absent. Il évite mon regard, sort plus souvent, rentre tard. Je le surprends parfois à fixer mes bras avec une expression que je n’arrive pas à décrypter : dégoût ? Pitié ? Incompréhension ?
Un soir, alors que je prépare le dîner, il explose :
— Tu te rends compte de ce que tu m’as fait ? J’ai l’impression d’avoir vécu avec une étrangère !
Je lâche la casserole qui s’écrase au sol dans un fracas métallique. Les larmes montent à mes yeux.
— Je voulais te protéger… Je ne voulais pas que tu souffres à cause de moi…
Il secoue la tête.
— Mais c’est pire ! Tu m’as exclu de ta vie ! Tu crois que c’est ça, être un couple ? Se mentir ?
Je me sens coupable, mais aussi en colère. Pourquoi est-ce toujours à moi de porter ce poids ? Pourquoi ma maladie devrait-elle tout gâcher ?
Les semaines passent. La tension ne retombe pas. Ma mère m’appelle tous les jours pour prendre des nouvelles.
— Camille, tu dois parler à Paul. Tu ne peux pas tout garder pour toi.
Mais comment expliquer à ma propre mère que j’ai honte ? Que même elle ne sait pas tout ? Que depuis l’enfance, j’ai appris à cacher mes bras sous des pulls même en été, à éviter les piscines et les soirées entre amis ?
Un dimanche matin, Paul rentre d’une balade et me trouve assise sur le balcon, en larmes.
— Camille… On ne peut pas continuer comme ça.
Je hoche la tête. Il s’assoit à côté de moi.
— Je t’aime, tu sais ? Mais j’ai besoin de comprendre ce que tu vis. J’ai besoin que tu me laisses t’aider.
Pour la première fois depuis longtemps, je sens une brèche dans la carapace qui m’étouffe. Je lui parle alors de tout : des démangeaisons qui me réveillent la nuit, des regards des collègues au bureau quand je retrousse mes manches par inadvertance, des pharmacies où je vais en cachette pour acheter des crèmes hors de prix non remboursées par la Sécu.
Paul écoute en silence. Puis il prend ma main.
— On va affronter ça ensemble. Mais promets-moi une chose : plus jamais de secrets entre nous.
Je promets. Mais au fond de moi, je sais que ce ne sera pas facile. La maladie ne disparaîtra pas d’un coup de baguette magique. Il y aura encore des rechutes, des moments où je voudrais tout cacher à nouveau.
Quelques semaines plus tard, nous sommes invités à un barbecue chez des amis à Lyon. Il fait chaud, tout le monde porte des manches courtes. Je sens le regard de Paul sur moi quand j’hésite devant le miroir avec mon t-shirt à manches longues.
— Tu es belle comme tu es, Camille.
Je prends une grande inspiration et enfile finalement un débardeur. Les cicatrices sont là, bien visibles. Mais pour la première fois depuis longtemps, je me sens légère.
Le soir même, en rentrant chez nous, Paul me serre dans ses bras.
— Merci d’avoir eu le courage d’être toi-même aujourd’hui.
Je souris à travers mes larmes.
Aujourd’hui encore, il y a des jours sombres où je doute de moi-même et de notre couple. Mais j’ai compris une chose essentielle : l’amour véritable ne se nourrit pas du mensonge ou du silence. Il grandit dans la vérité partagée et l’acceptation mutuelle.
Et vous… Jusqu’où iriez-vous pour protéger ceux que vous aimez ? Est-ce vraiment leur rendre service que de leur cacher nos faiblesses ?