Ce samedi matin où tout a basculé – L’histoire de Camille au supermarché du quartier
— Tu as bien pris ton portefeuille, Camille ?
La voix de ma mère résonne encore dans ma tête, alors que je fouille frénétiquement mon sac devant la caissière du Franprix. Mon cœur bat à tout rompre. Je sens le regard impatient des clients derrière moi, la gêne qui monte, la sueur froide sur ma nuque. Je fouille, je retourne tout, mais rien. Mon portefeuille a disparu.
— Je suis désolée… Je… Il était là tout à l’heure…
La caissière, une jeune femme aux yeux fatigués, esquisse un sourire compatissant. Mais derrière moi, une vieille dame souffle bruyamment. Je sens la colère monter, mais surtout une peur sourde. Comment est-ce possible ? Je l’avais en main en entrant. J’en suis sûre.
Je sors du magasin en courant, le visage brûlant de honte. Sur le trottoir, je m’effondre sur un banc. Je pense à mes cartes, à mon argent, mais surtout à la photo de mon père décédé que je gardais précieusement dans ce portefeuille. Les larmes me montent aux yeux.
Mon téléphone vibre. C’est ma sœur, Élodie.
— Alors, tu as pensé à prendre le pain pour ce soir ?
Sa voix légère me donne envie de hurler.
— Non, Élodie ! On m’a volé mon portefeuille !
Un silence gênant s’installe.
— Tu es sûre ? Tu ne l’as pas juste perdu ?
Cette phrase me transperce. Pourquoi personne ne me croit jamais ? Pourquoi faut-il toujours que je me justifie ?
Je rentre chez moi, le cœur lourd. Ma mère m’attend dans la cuisine.
— Tu es sûre que tu ne l’as pas oublié sur le comptoir ?
Encore cette question. Encore ce doute. Je sens la colère monter.
— Non maman ! On me l’a volé ! Tu comprends ? Volé !
Elle baisse les yeux, gênée. Mon petit frère Paul entre dans la pièce, écouteurs vissés sur les oreilles.
— T’as encore fait une boulette, Camille ?
Je claque la porte de ma chambre. Je m’effondre sur mon lit. Pourquoi personne ne me soutient ? Pourquoi ai-je l’impression d’être seule contre tous ?
Les jours passent. J’annule mes cartes, je fais une déclaration à la police. L’agent me regarde avec lassitude.
— Vous savez, mademoiselle, ça arrive tous les jours…
Je ressors du commissariat avec un sentiment d’injustice et d’impuissance. Je croise le regard d’un homme dans la rue ; il détourne les yeux. Depuis ce samedi matin, je ne regarde plus les gens de la même façon. Je soupçonne tout le monde. Au supermarché, je serre mon sac contre moi comme un trésor.
À la maison, l’ambiance est tendue. Ma mère évite le sujet, mais je sens qu’elle doute encore de moi. Mon frère se moque ouvertement.
— T’as vu, maman ? Camille a peur de sortir maintenant !
Un soir, alors que je dîne seule dans la cuisine, ma sœur me rejoint.
— Tu sais… Je suis désolée de t’avoir douté de toi l’autre jour.
Je relève la tête, surprise.
— C’est juste que… On a tous nos petits oublis parfois… Mais je vois bien que ça t’a vraiment touchée.
Les larmes me montent aux yeux. Enfin quelqu’un qui comprend.
— Ce n’est pas juste le portefeuille… C’est tout ce que ça représente. J’ai l’impression qu’on ne me fait jamais confiance dans cette famille…
Élodie pose sa main sur la mienne.
— Peut-être qu’on devrait apprendre à mieux s’écouter…
Mais le mal est fait. Depuis ce jour-là, je me sens différente. Plus méfiante. Plus seule aussi.
Un matin, alors que je prends mon café au bistrot du coin, j’entends deux femmes discuter à la table voisine.
— Tu sais, on ne peut plus faire confiance à personne aujourd’hui… Même au supermarché du quartier !
Je souris tristement. Oui, c’est ça : on ne peut plus faire confiance à personne. Mais est-ce vraiment vrai ? Ou est-ce juste moi qui ai perdu foi en l’humanité ?
Quelques semaines plus tard, je reçois un appel inattendu du commissariat.
— Mademoiselle Laurent ? Nous avons retrouvé votre portefeuille. Un SDF l’a rapporté ce matin.
Je reste sans voix. Quand je récupère mon portefeuille, tout est là : mes cartes annulées, mon argent… et la photo de mon père.
Je remercie l’agent et sors du commissariat en pleurant de soulagement. Mais au fond de moi, quelque chose s’est brisé ce samedi matin-là. La confiance ne se répare pas si facilement.
En rentrant chez moi, je regarde les gens dans la rue différemment. Peut-être que tout n’est pas perdu… Peut-être qu’il reste encore des gens honnêtes dans ce monde.
Mais comment retrouver confiance après avoir été trahie par le quotidien lui-même ? Est-ce que vous aussi, vous avez déjà ressenti cette peur qui vous isole des autres ?