Ce n’était pas de l’amour, juste une fuite : le retour de Julien
« Ce n’était pas de l’amour, juste une fuite devant toi. »
Je me souviens encore du claquement sec de la porte d’entrée, ce soir d’octobre où Julien était parti. Il n’avait rien dit, pas un mot, juste ce regard fuyant et cette valise trop pleine pour un simple week-end. Six mois plus tard, il était là, debout dans l’encadrement de la porte, comme s’il revenait d’une course banale. Mais cette fois, il me fixait droit dans les yeux, et ses mots sont tombés comme une gifle : « Ce n’était pas de l’amour, juste une fuite devant toi. »
Je n’ai pas crié. Je n’ai pas pleuré. J’ai senti mon cœur se serrer, ma gorge se nouer, mais rien n’est sorti. Autour de nous, l’appartement semblait figé dans le temps : la tasse ébréchée sur la table basse, le plaid qu’il avait laissé en boule sur le canapé, et cette odeur de café froid qui flottait encore dans l’air. Tout me rappelait son absence, et maintenant sa présence me semblait presque irréelle.
« Pourquoi tu es revenu alors ? » Ma voix tremblait à peine. Il a haussé les épaules, l’air las. « Je croyais que j’avais besoin de partir… Mais là-bas, tout était vide. »
Je me suis assise sur le bord du fauteuil, les mains crispées sur mes genoux. Les souvenirs défilaient : nos disputes à propos de tout et de rien, ses silences interminables, mes attentes déçues. Avions-nous vraiment été heureux ? Ou bien avions-nous simplement joué à être un couple parce que c’était plus facile que d’être seuls ?
Julien a posé sa valise dans l’entrée sans demander la permission. Il a regardé autour de lui, comme s’il redécouvrait chaque détail. « Tu as changé les rideaux », a-t-il murmuré. J’ai hoché la tête. Oui, j’avais changé les rideaux, repeint la chambre en bleu pâle, jeté ses vieilles chemises qui traînaient partout. J’avais essayé d’effacer ses traces, mais il restait partout.
Ma mère m’avait dit : « Tu verras, il reviendra. Les hommes comme lui ne savent jamais ce qu’ils veulent. » Je lui avais ri au nez, persuadée que j’étais différente, que notre histoire était unique. Mais au fond, j’avais peur qu’elle ait raison.
Julien s’est approché de moi. « Je ne sais pas si je peux réparer ce que j’ai cassé », a-t-il soufflé. J’ai senti la colère monter en moi. « Tu crois que tu peux revenir comme ça ? Après tout ce temps ? Comme si tu étais juste parti acheter du pain ? »
Il a baissé les yeux. « Je ne demande pas pardon. Je voulais juste que tu saches la vérité. »
La vérité… Quelle vérité ? Que je n’étais qu’un refuge temporaire ? Que nos projets – le voyage en Bretagne, l’adoption d’un chat, les dîners chez ses parents à Versailles – n’étaient que des illusions ?
Je me suis levée brusquement. « Tu veux la vérité ? Moi aussi j’ai changé. Je ne t’ai pas attendu comme une héroïne tragique. J’ai appris à vivre sans toi. J’ai repris la danse avec Claire, j’ai retrouvé mes amis du lycée… J’ai même pensé à déménager à Lyon pour recommencer à zéro. »
Il a souri tristement. « Je comprends. Peut-être que c’est mieux comme ça… »
Un silence pesant s’est installé entre nous. Dehors, la pluie battait contre les vitres du petit appartement parisien. J’aurais voulu hurler, le frapper, lui dire qu’il m’avait brisée. Mais je n’en avais plus la force.
Soudain, mon père a appelé sur mon portable. Je n’ai pas décroché. Je savais déjà ce qu’il dirait : « Ma fille, tu dois tourner la page. » Mais comment tourner la page quand l’histoire refuse de se terminer ?
Julien a pris sa valise et s’est dirigé vers la porte. Avant de sortir, il s’est retourné : « Je te souhaite d’être heureuse, vraiment. »
La porte s’est refermée doucement derrière lui cette fois-ci. Pas de claquement brutal, juste un souffle qui emportait avec lui six ans de souvenirs.
Je me suis effondrée sur le sol, les larmes coulant enfin sur mes joues glacées. J’ai repensé à nos premiers jours ensemble : les balades sur les quais de Seine, les fous rires dans le métro bondé, les nuits blanches à refaire le monde… Tout semblait si loin.
Le lendemain matin, j’ai appelé Claire : « Il est revenu… et il est reparti. » Elle a soupiré : « Tu veux que je passe ? » J’ai accepté sans hésiter.
Ensemble, nous avons bu du thé en silence. Elle m’a serrée dans ses bras et m’a dit : « Tu vaux mieux que ça, Camille. Il faut que tu penses à toi maintenant. »
Les jours ont passé lentement. J’ai repris le travail à la librairie du quartier Latin où je croisais parfois des couples main dans la main et où chaque roman d’amour me semblait désormais mensonger.
Un soir, alors que je rangeais des livres sur les étagères, une cliente m’a demandé conseil pour un cadeau d’anniversaire : « Quel livre offrir à quelqu’un qui vient de traverser une rupture difficile ? » J’ai souri tristement et lui ai tendu « L’élégance du hérisson ». Peut-être parce qu’il parle de renaissance après la douleur.
Aujourd’hui encore, je repense à Julien et à ses mots cruels mais honnêtes. Peut-être qu’il m’a libérée sans le vouloir. Peut-être qu’il fallait cette rupture pour que je me retrouve enfin.
Mais dites-moi… Est-ce qu’on peut vraiment aimer quelqu’un qui ne nous aime pas ? Ou bien est-ce qu’on aime seulement l’idée de ne pas être seul ?