Au bord du gouffre : Confession d’un traître
— Tu rentres tard, Antoine. Encore une réunion ?
La voix de Camille, ma femme, résonne dans le couloir sombre de notre appartement à Lyon. Il est presque minuit. Je sens son regard peser sur moi alors que je retire mon manteau, le cœur battant trop vite. Je mens, encore :
— Oui, la direction a pris du retard…
Mais la vérité, c’est que je reviens d’un autre monde. Un monde où j’existe autrement, où je ne suis ni père, ni mari, ni employé modèle. Ce soir-là, tout a basculé.
C’était il y a trois mois. Une soirée d’anniversaire chez mon collègue François. J’y suis allé à reculons, fatigué par la routine, par les cris des enfants, par la tendresse mécanique de Camille. Je ne savais pas que ce soir-là, je rencontrerais Élise.
Élise… Elle riait fort, elle portait une robe rouge qui tranchait avec la grisaille de novembre. Elle n’était pas belle au sens classique, mais elle avait ce quelque chose qui attire les âmes perdues. Nous avons parlé toute la soirée, loin des autres, dans la cuisine. Elle m’a raconté sa vie de professeure de lettres, ses rêves d’évasion à Marseille, ses blessures secrètes. J’ai bu ses paroles comme on boit un dernier verre avant l’oubli.
— Tu n’as jamais eu envie de tout plaquer ?
Sa question m’a frappé en plein cœur. J’ai menti, bien sûr. Mais elle a vu clair en moi.
— Tu mens mal, Antoine.
Ce soir-là, j’ai franchi une ligne invisible. Nous nous sommes revus. Au début, c’était innocent : un café après le travail, un déjeuner volé entre deux réunions. Puis il y a eu ce soir où la pluie battait les vitres du petit hôtel près de la Part-Dieu. J’ai trahi Camille pour la première fois.
Je croyais pouvoir gérer. Je croyais que je pouvais cloisonner ma vie : mari aimant d’un côté, amant passionné de l’autre. Mais très vite, le mensonge est devenu un poison. Je rentrais chez moi avec l’odeur d’Élise sur ma peau, le goût de sa bouche dans ma mémoire. Camille a commencé à se méfier.
— Tu es ailleurs, Antoine. Tu ne me regardes plus comme avant.
Je détournais les yeux. Nos enfants sentaient aussi la tension. Paul, mon fils aîné, s’est mis à faire des cauchemars. Un soir, il m’a demandé :
— Papa, tu vas partir ?
J’ai failli éclater en sanglots devant lui.
Mais je continuais. Je me disais que je finirais par choisir. Mais comment choisir entre la sécurité et la passion ? Entre la famille et le vertige ?
Un dimanche matin, tout a explosé. Camille a trouvé un message sur mon téléphone : « Je t’attends ce soir… Élise ». Elle est devenue livide.
— C’est qui ?
J’ai essayé de nier, mais elle savait déjà. Elle a hurlé, pleuré, cassé un vase contre le mur. Les enfants se sont réfugiés dans leur chambre.
— Tu as tout détruit ! Tu nous as trahis !
Je n’avais rien à répondre. J’étais nu devant elle, minable et honteux.
Les semaines suivantes ont été un enfer. Camille ne me parlait plus que pour l’essentiel. Les enfants m’évitaient. J’ai quitté la maison pour un studio minable à la Guillotière. Élise voulait m’aider mais je n’étais plus qu’une épave.
Un soir, alors que je marchais seul sur les quais du Rhône, j’ai compris que j’avais tout perdu : ma famille, mon honneur, ma place dans le monde. Élise s’est éloignée aussi ; elle ne voulait pas être « celle qui détruit ».
Aujourd’hui, je vis seul dans ce studio froid. Je vois mes enfants un week-end sur deux. Camille a refait sa vie avec un autre homme — un type bien, attentionné avec Paul et Lucie.
Je repense souvent à cette soirée chez François. Si je n’avais pas parlé à Élise… Si j’avais résisté… Mais peut-on vraiment lutter contre ce qui nous manque ?
Je ne cherche plus d’excuses. J’ai trahi ceux que j’aimais le plus au monde pour une illusion de liberté.
Parfois je me demande : est-ce qu’on mérite d’être heureux après avoir fait tant de mal ? Peut-on se pardonner soi-même ?
Et vous… auriez-vous fait autrement ?