Quand Maman a appelé : « Ils arrivent ! » – Un retour au village qui a tout bouleversé

« Camille, ils arrivent samedi. Tu peux venir plus tôt pour m’aider ? » La voix de ma mère, sèche, tranchait le silence de mon petit appartement parisien. J’ai regardé mon téléphone, le cœur serré. Encore une fois, la famille allait débarquer dans la vieille maison de Saint-Aubin, et moi, comme toujours, je me sentais étrangère à ce décor de campagne, à ces murs chargés de souvenirs qui ne m’appartenaient pas vraiment.

J’ai hésité avant de répondre. « Oui, Maman. Je serai là vendredi soir. »

En raccrochant, j’ai senti la colère monter. Pourquoi fallait-il toujours que je revienne ? Pourquoi étais-je la seule à devoir faire des efforts ? Mes frères, Paul et Julien, trouvaient toujours une excuse pour arriver à la dernière minute, sourire aux lèvres, comme si tout allait de soi. Moi, j’étais celle qui devait aider à préparer, à ranger, à faire bonne figure devant les tantes et les cousins qui ne comprenaient rien à ma vie parisienne.

Le train filait à travers les champs de blé. Je regardais défiler le paysage, la gorge nouée. Je repensais à la dernière fois : la dispute avec Paul sur mon « absence » à la ferme, les remarques de ma tante Hélène sur mon célibat, les silences gênés de Maman quand je parlais de mon travail dans l’édition. Ici, tout ce qui comptait, c’était la terre, la famille, la tradition. Moi, j’étais l’exception, l’étrangère.

En arrivant à la gare, Maman m’attendait, les bras croisés. « Tu n’as pas beaucoup de bagages. Tu comptes rester combien de temps ? »

Je soupirai. « Autant que nécessaire. »

Dans la voiture, le silence était pesant. Les arbres défilaient, familiers et hostiles à la fois. Une odeur de foin flottait dans l’air. J’avais envie de crier, de lui dire que je n’en pouvais plus de ces retours forcés, de cette impression d’être toujours de trop.

À la maison, tout était déjà en effervescence. Maman donnait des ordres à droite à gauche. « Camille, va chercher les œufs chez la voisine. » « Camille, aide-moi à dresser la table. » Je m’exécutais, sans un mot. Paul est arrivé le lendemain, tout sourire, embrassant tout le monde à la volée. Julien a débarqué en retard, comme d’habitude, prétextant un problème de train.

Le soir, autour de la grande table en bois, les conversations allaient bon train. On parlait de la récolte, des voisins, des élections municipales. Personne ne me demandait comment j’allais. J’ai tenté d’expliquer à ma tante Hélène que je travaillais sur un nouveau roman, mais elle m’a coupée : « Tu devrais penser à te poser, Camille. À ton âge, ta mère avait déjà trois enfants. »

J’ai senti les larmes monter. J’ai quitté la table sans un mot, sous les regards gênés. Dans ma chambre d’enfant, j’ai éclaté en sanglots. Pourquoi étais-je incapable de leur parler ? Pourquoi ce fossé semblait-il s’agrandir à chaque visite ?

Le lendemain matin, Maman est venue me voir. Elle s’est assise au bord du lit, maladroite. « Tu sais, ce n’est pas facile pour moi non plus. J’aimerais qu’on soit plus proches. »

J’ai pris une grande inspiration. « Maman, j’ai l’impression de ne jamais être à ma place ici. J’ai besoin que tu comprennes qui je suis, ce que je fais… »

Elle a baissé les yeux. « Je ne comprends pas toujours ta vie, c’est vrai. Mais tu restes ma fille. »

Un silence lourd s’est installé. Puis elle a posé sa main sur la mienne. « On pourrait essayer de se parler, vraiment. »

Ce soir-là, j’ai proposé qu’on fasse un jeu tous ensemble, comme quand on était enfants. Paul a râlé, Julien a soupiré, mais tout le monde a joué le jeu. Pour la première fois depuis longtemps, j’ai ri avec eux. J’ai senti que quelque chose changeait.

Le dimanche matin, alors que les invités arrivaient, j’ai pris la parole devant tout le monde. « Je sais que je suis différente. Mais j’aimerais qu’on arrête de me juger sur ce que je ne suis pas. J’ai besoin de sentir que j’ai ma place ici, même si je vis autrement. »

Un silence gêné a suivi. Puis ma cousine Sophie a pris la parole : « Tu sais, moi aussi je me sens parfois à côté de la plaque ici… »

Petit à petit, les langues se sont déliées. On a parlé des attentes, des rêves brisés, des peurs. Maman m’a serrée dans ses bras à la fin de la journée.

En reprenant le train pour Paris, j’ai regardé une dernière fois les champs défiler. Je me suis demandé : est-ce qu’on peut vraiment changer les choses dans une famille ? Est-ce que le courage d’être soi suffit à ouvrir les cœurs ?