Quand l’argent divise : Mon combat pour une famille unie
— Tu veux vraiment leur demander ça, Paul ? Je sens ma voix trembler, alors que je serre la main de mon mari dans la cuisine exiguë de notre appartement de Créteil. Dehors, la pluie tambourine contre les vitres. Notre fils, Louis, joue dans sa chambre, inconscient de la tension qui règne.
Paul soupire, fatigué. « On n’a pas le choix, Camille. On ne pourra jamais acheter sans un coup de pouce. »
Je détourne les yeux. Je n’ai jamais voulu dépendre d’eux. Les parents de Paul, les Delacroix, vivent dans un hôtel particulier du 16e arrondissement. Leur salon fait la taille de notre étage entier. Ils parlent d’art et de voyages à Saint-Barthélemy comme d’un week-end à Deauville. Moi, j’ai grandi à Montreuil, avec une mère caissière et un père ouvrier.
Le soir même, nous prenons le RER pour aller dîner chez eux. Je me sens étrangère dans leur monde : les dorures, les tableaux anciens, l’odeur du parquet ciré. Madame Delacroix nous accueille d’un sourire poli.
À table, Paul aborde le sujet : « Papa, Maman… On voudrait acheter un appartement. On a économisé, mais il nous manque encore un apport. »
Un silence tombe. Monsieur Delacroix repose sa fourchette, croise les bras. « Paul, tu sais que nous avons travaillé dur pour ce que nous avons. Ce n’est pas en tendant la main qu’on apprend la valeur des choses. »
Je sens mes joues brûler. Paul baisse la tête. Madame Delacroix ajoute : « Nous ne voulons pas encourager la facilité. »
Sur le chemin du retour, Paul ne dit rien. Je ravale mes larmes. J’ai honte pour lui, pour nous. Je repense à toutes ces fois où ils ont offert des cadeaux hors de prix à leurs amis, mais pas un mot pour leur petit-fils qui partage sa chambre avec la machine à laver.
Les semaines passent. La tension s’installe entre Paul et moi. Il s’enferme dans le silence, passe plus d’heures au travail. Moi, je me débats avec les annonces immobilières, les refus de prêt, les visites d’appartements insalubres.
Un soir, alors que je borde Louis, il me demande : « Maman, pourquoi on n’a pas de jardin comme chez papi et mamie ? »
Je sens mon cœur se serrer. Comment lui expliquer ?
La colère monte en moi. Je décide d’appeler Madame Delacroix.
— Vous savez que Louis vous adore ? Il ne comprend pas pourquoi il ne peut pas jouer chez vous plus souvent…
Elle répond d’une voix froide : « Camille, nous avons nos habitudes. Et puis, ce n’est pas à nous de régler vos problèmes. »
Je raccroche en tremblant.
Paul rentre tard ce soir-là. Je l’attends dans le salon.
— Tu vas continuer à accepter ça ?
Il me regarde, épuisé : « Ce sont mes parents… Je ne peux pas les forcer à aimer autrement. »
— Mais Louis mérite mieux ! Il mérite des grands-parents présents, pas seulement des photos sur la cheminée !
Paul s’effondre sur le canapé.
— Je me sens comme un enfant face à eux… J’ai toujours eu peur de leur déplaire.
Je m’assieds près de lui.
— Et moi ? Et notre fils ? On compte moins qu’eux ?
Le silence s’installe à nouveau.
Les mois passent. Nous finissons par trouver un petit trois-pièces en banlieue sud grâce à un prêt aidé et l’aide de ma mère qui vide ses économies pour nous prêter ce qu’elle peut.
Le jour du déménagement, Louis court partout dans l’appartement vide en riant : « C’est chez nous ! »
Je regarde Paul. Il sourit enfin. Mais au fond de ses yeux, je vois une tristesse tenace.
Quelques semaines plus tard, nous recevons une invitation chez les Delacroix pour Noël. J’hésite à y aller.
Ce soir-là, autour de la table décorée d’argenterie, Madame Delacroix offre à Louis un train électrique hors de prix.
Je la regarde droit dans les yeux :
— Vous savez, ce dont il a vraiment besoin, c’est que vous veniez le voir jouer dans sa chambre… même si elle n’a pas vue sur la Tour Eiffel.
Un silence gênant s’installe. Monsieur Delacroix détourne le regard.
Sur le chemin du retour, Paul me serre la main.
— Merci d’avoir dit ce que je n’ai jamais osé dire.
Aujourd’hui encore, je me demande : est-ce que l’argent doit vraiment décider de l’amour qu’on porte à sa famille ? Est-ce que nos enfants méritent d’être privés de liens parce qu’ils ne sont pas nés du bon côté du périphérique ? Qu’en pensez-vous ?