Mon mari m’a demandé de le rembourser pour nos dépenses communes : le prix du silence
— Tu comptes me rembourser quand, Camille ?
La voix de Julien résonne dans la cuisine, froide, tranchante comme une lame. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes. Il est 7h du matin, la lumière grise de Paris filtre à peine à travers les rideaux. Je n’ai pas dormi. Depuis des semaines, cette question revient, chaque matin, chaque soir, comme une ritournelle empoisonnée.
Je n’aurais jamais cru en arriver là. Mariée depuis cinq ans, deux enfants, un appartement à Montrouge acheté ensemble, des souvenirs de vacances en Bretagne… et maintenant, cette facture invisible qui plane au-dessus de nos têtes. Julien a tout noté : les courses, l’électricité, même les tickets de métro. Il a dressé un tableau Excel, froid et implacable. « C’est normal », dit-il. « On partage tout à parts égales. »
Mais ce n’est pas vrai. Depuis que j’ai perdu mon poste chez EDF après la restructuration, je fais des petits boulots : baby-sitting, soutien scolaire, quelques traductions pour une voisine. Je ramène à peine 600 euros par mois. Lui gagne bien sa vie dans une boîte d’informatique à La Défense. Mais il ne veut rien entendre.
— Tu crois que je peux tout payer tout seul ?
Je baisse les yeux. Je ne veux pas pleurer devant lui. Pas encore. Je me force à sourire quand les enfants descendent pour le petit-déjeuner.
— Salut maman !
— Bonjour mes chéris…
Je fais semblant. Je prépare les tartines, je verse le jus d’orange. Mais à l’intérieur, je me sens vide. J’ai honte. Honte de ne pas pouvoir subvenir aux besoins de ma famille comme avant. Honte de devoir cacher à ma mère que Julien me réclame de l’argent.
Le soir, au téléphone, elle me demande :
— Tout va bien avec Julien ?
— Oui maman, tout va bien…
Je mens. Parce qu’en France, on ne parle pas d’argent dans les familles. Surtout pas quand il s’agit d’un couple marié. On garde la face, on sauve les apparences.
Un dimanche midi, chez mes beaux-parents à Versailles, le sujet dérape.
— Alors Camille, tu as retrouvé du travail ?
Je sens le regard insistant de ma belle-mère, Françoise.
— Pas encore… Je cherche.
Julien intervient :
— Elle fait des petits trucs à droite à gauche.
Un silence gênant s’installe. Je sens que je ne suis pas à la hauteur de leurs attentes. Plus tard, dans la voiture, Julien explose :
— Tu pourrais faire plus d’efforts ! Tu crois que c’est facile pour moi ?
Je me tais. Je regarde défiler les lumières de la ville et je me demande comment on a pu en arriver là.
Un soir, alors que je range les affaires des enfants, ma fille Lucie me demande :
— Maman, pourquoi tu pleures ?
Je sursaute. Je n’avais pas remarqué mes larmes.
— Ce n’est rien ma chérie… Juste un peu fatiguée.
Mais ce n’est pas vrai. Je suis épuisée par cette guerre silencieuse qui ronge notre couple.
Un jour, je décide d’en parler à mon amie Sophie autour d’un café au Marais.
— Tu sais Camille, tu n’es pas la seule… Beaucoup de couples se déchirent à cause de l’argent. Mais demander un remboursement comme ça… c’est violent.
Je hoche la tête. Mais que faire ? Partir ? Rester pour les enfants ? J’ai peur du jugement des autres, peur de tout perdre.
Les semaines passent. Julien devient de plus en plus distant. Il laisse traîner des factures sur la table du salon comme des menaces silencieuses. Un soir, il me tend une enveloppe :
— Voilà le détail de ce que tu me dois.
Je sens mon cœur se briser. Ce n’est plus un mari devant moi, c’est un créancier.
Je repense à nos débuts : nos promenades sur les quais de Seine, nos rêves d’avenir… Où sont-ils passés ?
Un matin, je prends mon courage à deux mains et je lui dis :
— Julien, on ne peut pas continuer comme ça. On est censés être une équipe… Pas des adversaires.
Il me regarde longtemps sans rien dire. Puis il hausse les épaules et quitte la pièce.
Ce soir-là, je dors dans la chambre de Lucie. J’écoute sa respiration paisible et je me demande si elle se souviendra un jour de cette période sombre.
Aujourd’hui, j’écris ces lignes parce que je sais que je ne suis pas seule. Combien de femmes en France vivent ce genre d’humiliation silencieuse ? Combien d’entre nous préfèrent se taire plutôt que d’affronter le regard des autres ?
Est-ce vraiment ça l’amour ? Quand l’argent devient une arme… Peut-on encore parler de couple ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?