Lettre à la maîtresse de mon mari — Cinq ans après : tu n’es plus qu’un mauvais souvenir

« Tu n’as jamais su ce que tu as réellement brisé. »

Je me souviens encore du claquement sec de la porte ce soir-là. Les enfants dormaient déjà, et moi, je tournais en rond dans le salon, le cœur battant à m’en faire mal. William venait de m’avouer, d’une voix tremblante, qu’il avait « rencontré quelqu’un ». Je n’ai pas crié. Je n’ai pas pleuré. J’ai juste senti le sol se dérober sous mes pieds. Cinq ans ont passé, et pourtant, ce souvenir me serre encore la gorge.

Je t’écris aujourd’hui, toi, la femme qui a cru pouvoir voler mon mari, mon histoire, ma famille. Tu n’as jamais eu de prénom pour moi. Tu étais « l’autre », celle qui se glissait dans les interstices de notre quotidien, qui envoyait des messages à minuit, qui riait trop fort à ses blagues lors des réunions d’entreprise. Tu étais l’ombre qui planait sur nos dimanches en famille, le parfum inconnu sur sa chemise, la notification cachée sur son téléphone.

Je me souviens de ce matin où j’ai trouvé votre photo dans ses mails. Vous étiez enlacés devant la fontaine Saint-Michel, comme deux adolescents. J’ai cru mourir de honte et de rage. J’ai voulu te haïr, mais c’est moi que j’ai détestée d’abord : pour n’avoir rien vu venir, pour avoir cru à notre bonheur tranquille dans notre pavillon de banlieue parisienne, pour avoir pensé que l’amour suffisait.

William est resté. Il a supplié, il a pleuré, il a juré qu’il m’aimait encore. Mais il n’était plus le même. Il portait ton empreinte comme une brûlure. Les enfants ont senti le malaise. Camille a commencé à faire des cauchemars ; Paul s’est mis à bégayer. J’ai dû tout porter sur mes épaules : leur peine, sa culpabilité, ma colère.

Tu sais ce que c’est, toi, d’expliquer à une petite fille pourquoi papa ne sourit plus ? De rassurer un garçonnet qui ne comprend pas pourquoi maman pleure dans la salle de bain ? Tu n’as vu que l’homme séduisant, drôle et brillant ; tu n’as jamais vu le père fatigué, le mari distrait, l’homme qui oublie d’acheter du pain en rentrant du travail.

Je t’en ai voulu de ton arrogance. Tu te croyais irrésistible, indispensable. Tu te vantais auprès de tes amies d’avoir « enfin trouvé un homme marié prêt à tout quitter ». Mais tu as sous-estimé la force d’une famille blessée. Nous avons vacillé, oui. Mais nous ne sommes pas tombés.

Il y a eu des cris, des portes claquées, des silences glacés autour de la table du dîner. J’ai pensé partir cent fois. J’ai consulté une avocate, j’ai regardé des appartements à louer à Montrouge. Mais chaque fois que je voyais mes enfants s’accrocher à leur père avec cette peur panique dans les yeux, je me disais : « Pas maintenant. Pas tant qu’ils ont besoin de nous deux. »

William a coupé les ponts avec toi. Je l’ai vu souffrir comme un adolescent éconduit. Il t’a écrit une dernière lettre — que j’ai lue en cachette — où il disait qu’il devait « sauver ce qui pouvait l’être ». Je ne sais pas si tu as pleuré en la lisant. Moi, j’ai pleuré pour deux.

Les mois ont passé. J’ai repris le travail à la médiathèque municipale. J’ai retrouvé mes collègues, mes habitudes simples : le café du matin avec Sophie, les discussions sur les romans policiers avec Monsieur Dupuis. J’ai réappris à respirer sans toi dans mon ombre.

Un jour, j’ai croisé ton regard dans une boulangerie du quartier. Tu étais seule, nerveuse, ton téléphone vissé à la main. Nos yeux se sont croisés une seconde — une éternité — et j’y ai vu tout ce que tu avais perdu : l’illusion d’un amour volé et la certitude d’avoir été « choisie ». Tu n’étais plus qu’un mauvais souvenir.

Aujourd’hui, William et moi ne sommes plus les mêmes. Nous avons reconstruit quelque chose — pas tout à fait l’amour d’avant, mais une complicité nouvelle, faite de cicatrices et de promesses murmurées tard le soir. Les enfants rient à nouveau ; Camille dessine des soleils partout et Paul ne bégaye plus.

Je ne t’en veux plus vraiment. Tu fais partie de notre histoire comme une tempête dont on se souvient longtemps après qu’elle est passée. Mais je voulais que tu saches : tu n’as rien gagné. Tu as cru pouvoir tout prendre ; tu n’as fait que révéler ce qui était fragile et ce qui était fort.

Alors dis-moi : est-ce que ça en valait la peine ? Est-ce que tu dors mieux la nuit ?

Et vous, lecteurs… Qu’auriez-vous fait à ma place ? Peut-on vraiment pardonner l’impardonnable ?