Le testament sur la table de nuit : L’héritage impossible à pardonner
« Tu n’as rien compris, Lucie ! » La voix de Camille résonne encore dans le couloir, tranchante, presque étrangère. Je serre le papier froissé dans ma main, ce testament que j’ai trouvé par hasard sur la table de nuit de maman, entre son roman préféré et sa boîte de médicaments. Je n’aurais jamais dû fouiller, mais comment aurais-je pu deviner que ce simple geste allait tout bouleverser ?
Maman est morte il y a trois semaines. Depuis, la maison familiale à Angers est pleine de souvenirs et d’ombres. Camille et moi vidons les armoires, trions les photos, tentons de nous soutenir. Mais depuis que j’ai lu ces mots — « Je lègue l’ensemble de mes biens à ma fille Camille » — quelque chose s’est brisé. Je relis la lettre, encore et encore, espérant y trouver une explication cachée, une phrase oubliée qui dirait : « Lucie, je t’aime tout autant. » Mais il n’y a rien.
Camille ne comprend pas mon silence. Elle croit que je suis jalouse, ou pire, cupide. Mais ce n’est pas l’argent qui me ronge. C’est l’incompréhension, la trahison silencieuse d’une mère qui m’a toujours dit qu’elle nous aimait pareil. J’entends encore sa voix : « Mes filles sont tout pour moi. » Alors pourquoi ?
Un soir, alors que la pluie frappe les vitres du salon, je craque. « Pourquoi elle t’a tout laissé ? Qu’est-ce que j’ai fait de mal ? » Camille soupire, lasse. « Tu sais bien que maman t’aimait. Peut-être qu’elle pensait que tu n’avais pas besoin d’aide… »
Je ris jaune. « Parce que j’ai un boulot stable ? Parce que je n’ai pas divorcé ? »
Camille détourne les yeux. Elle a toujours été la plus fragile, celle qui pleurait pour un rien, celle qui avait besoin d’être rassurée. Moi, j’étais la grande sœur solide, celle qui ne demandait jamais rien. Mais aujourd’hui, c’est moi qui suis brisée.
Les jours passent et la tension monte. Les voisins viennent déposer des tartes et des mots de condoléances. Ma tante Hélène murmure à l’oreille de Camille : « Ta mère voulait juste te protéger… » Je me sens invisible, comme si mon chagrin était moins légitime.
Un soir, je retrouve mon père assis dans le jardin, une cigarette à la main. Il n’a jamais été très démonstratif, mais ce soir-là, il me regarde avec une tristesse infinie.
— Tu sais, ta mère s’inquiétait beaucoup pour Camille ces derniers temps… Elle avait peur qu’elle ne s’en sorte pas seule.
— Et moi alors ?
Il hausse les épaules. « Elle pensait que tu étais forte. Trop forte peut-être… »
Je sens la colère monter. Pourquoi faut-il toujours être celle qui supporte tout ? Pourquoi personne ne voit quand je souffre ?
La semaine suivante, nous devons signer les papiers chez le notaire. Je m’assois en face de Camille, le cœur serré. Le notaire lit le testament à voix haute. Les mots résonnent comme une sentence.
Après la réunion, Camille me rattrape dans la rue.
— Lucie, je ne veux pas de tout ça sans toi. On peut partager…
Je secoue la tête.
— Ce n’est pas à toi de réparer ça.
Elle me prend la main.
— Tu crois vraiment que maman voulait te blesser ?
Je baisse les yeux. Non, je ne le crois pas. Mais le mal est fait.
Les semaines passent et la maison se vide peu à peu. Je ramasse une vieille écharpe de maman et son parfum me submerge. Je me souviens des dimanches après-midi où elle nous lisait des histoires au coin du feu, de ses bras autour de moi quand j’avais peur du noir.
Un matin, je trouve une lettre glissée dans un livre de recettes. L’écriture tremblante de maman : « Ma Lucie, si tu lis ceci un jour, sache que je t’aime plus que tout. Je sais que tu es forte et indépendante, mais n’oublie jamais que tu as le droit d’être vulnérable aussi… »
Les larmes coulent sans que je puisse les arrêter. Peut-être qu’elle ne voulait pas me blesser. Peut-être qu’elle croyait vraiment bien faire.
Mais comment pardonner quand on se sent trahi par celle qu’on aime le plus ? Comment reconstruire une relation avec sa sœur quand tout semble faussé par un simple bout de papier ?
Aujourd’hui encore, je me demande : est-ce qu’on peut vraiment pardonner l’injustice d’un parent ? Ou bien certaines blessures sont-elles faites pour ne jamais guérir ?