Le choix de mon fils : Entre amour et désillusion, une famille à l’épreuve
— Tu te rends compte, maman ? Il a osé me dire que je n’étais pas assez bien pour sa fille !
La voix de Paul résonne encore dans ma tête, pleine de colère et de déception. Nous étions assis dans la voiture, garés devant la maison des Dubois, la famille de sa fiancée, Camille. Je venais d’assister à l’une des scènes les plus humiliantes de ma vie : Gérard Dubois, le père de Camille, nous avait accueillis sur le pas de sa porte, une bouteille de pastis à la main, les joues rouges et l’élocution pâteuse. Il avait à peine réussi à articuler un « bonjour » avant de s’effondrer dans un fauteuil du salon, ignorant nos tentatives de conversation.
Je me souviens avoir jeté un regard paniqué à mon mari, François. Lui aussi semblait désemparé. Nous avions toujours rêvé d’un mariage heureux pour notre fils unique, d’une belle-famille chaleureuse, soudée. Mais ce que nous venions de voir n’était qu’un triste spectacle : une mère absente, un père ivre et une maison où flottait une odeur âcre d’alcool et de renoncement.
— Paul, tu es sûr de toi ?
Il m’a regardée avec cette détermination qui me faisait si peur. Depuis tout petit, Paul était sensible aux injustices. Il avait toujours voulu réparer le monde, aider les plus faibles. Je me souvenais de lui, adolescent, insistant pour qu’on fasse des dons aux Restos du Cœur ou qu’on visite les enfants placés en foyer. Mais là… là il s’agissait de sa vie.
— Maman, je l’aime. Ce n’est pas sa faute si son père est comme ça.
J’ai senti les larmes me monter aux yeux. J’avais passé ma vie à protéger Paul. J’avais tout fait pour qu’il ne manque de rien : une bonne éducation, des valeurs solides, un foyer stable. Et voilà qu’il voulait s’unir à une jeune femme dont la famille semblait tout droit sortie d’un reportage sur la misère sociale.
— Tu ne peux pas sauver tout le monde !
Ma voix a claqué dans l’habitacle. Paul a baissé les yeux. J’ai eu honte aussitôt. Ce n’était pas lui le problème. C’était moi. Moi et mes peurs, mes préjugés.
La semaine suivante a été un enfer. À chaque repas, le sujet revenait sur la table. François tentait d’apaiser les tensions :
— Peut-être qu’on devrait leur laisser une chance…
Mais moi, je voyais déjà les catastrophes à venir : un mariage gâché par l’alcoolisme du beau-père, des repas de famille tendus, des petits-enfants exposés à cette misère morale.
Un soir, alors que je rangeais la cuisine, Paul est venu me voir. Il avait les traits tirés.
— Camille veut annuler les fiançailles… Elle a honte de sa famille.
J’ai ressenti un pincement au cœur. Je savais que Camille était une fille bien. Discrète, brillante à l’université, elle avait tout fait pour s’éloigner du chaos familial. Mais pouvait-on vraiment échapper à ses racines ?
J’ai repensé à toutes ces émissions télé où des enfants racontaient leur souffrance d’être rejetés à cause des erreurs de leurs parents. J’avais toujours dit que je serais différente. Que je ne jugerais jamais quelqu’un sur ses origines.
Mais la réalité était plus complexe.
Quelques jours plus tard, Camille est venue dîner chez nous. Elle était nerveuse, ses mains tremblaient légèrement lorsqu’elle a posé son sac dans l’entrée.
— Je suis désolée pour l’autre jour… Mon père… il n’est pas méchant, il est juste malade.
J’ai senti mon cœur se serrer. Derrière sa voix posée, il y avait tant de tristesse.
— Camille, tu sais que tu peux compter sur nous…
Elle a souri faiblement.
— Merci, madame Martin… Mais je ne veux pas que Paul souffre à cause de ma famille.
Paul a pris sa main.
— Je m’en fiche de ta famille ! Je t’aime toi !
Le silence s’est installé dans la pièce. J’ai compris alors que ce n’était pas à moi de décider du bonheur de mon fils. Que l’amour ne se choisissait pas en fonction du pedigree familial.
Mais comment accepter que mon fils entre dans une famille brisée ? Comment supporter l’idée que mes petits-enfants grandissent avec un grand-père alcoolique ?
Les semaines ont passé. Gérard Dubois a été hospitalisé après un malaise dû à l’alcool. Camille a pris un petit appartement avec Paul. Ils ont décidé de repousser le mariage.
Un soir d’hiver, alors que je rentrais du travail, j’ai trouvé Paul assis sur le canapé du salon familial.
— Maman… Tu crois qu’on peut vraiment échapper à son passé ?
Je n’ai pas su quoi répondre. J’ai pensé à toutes ces familles déchirées par les secrets, les non-dits et la honte sociale.
Aujourd’hui encore, je me demande : ai-je eu raison de m’inquiéter autant ? Ou ai-je simplement laissé mes peurs dicter ma conduite ?
Et vous… auriez-vous accepté ce mariage ? Peut-on vraiment aimer sans juger ?