La robe de mes rêves, le cauchemar de ma vie

— Tu ne vas quand même pas sortir comme ça, Camille ?

La voix de ma mère résonne dans le couloir, tranchante comme une lame. Je me fige devant le miroir de l’entrée, les mains crispées sur le tissu bleu pâle de ma robe. Mon père, assis sur le canapé, lève à peine les yeux de son téléphone.

— On dirait une meringue, souffle-t-il en ricanant.

Je sens mes joues brûler. J’ai passé des semaines à économiser mon argent de poche pour acheter cette robe sur Vinted. Je l’ai reçue hier, cachée dans mon sac à dos pour éviter leurs commentaires. Je l’ai repassée toute seule, j’ai même cousu un bouton qui manquait. Ce soir, c’est le bal de fin d’année du collège Jean Moulin, et je voulais être jolie. Je voulais ressembler à toutes ces filles des films américains qu’on regarde ensemble le dimanche soir.

Mais ce soir, je ne suis qu’une blague.

— Franchement, Camille, tu n’as pas honte ? On dirait que tu vas à un mariage des années 80 !

Ma mère éclate de rire. Mon père la rejoint. Je baisse la tête. Mes cheveux tombent devant mon visage, cachant mes larmes naissantes. J’entends mon petit frère, Lucas, pouffer dans sa chambre.

— Laisse-la, dit-il en passant la tête par la porte. Elle va faire rire tout le monde au bal !

Je voudrais disparaître. Je voudrais que la terre s’ouvre sous mes pieds et m’avale. Mais il est trop tard : il faut partir si je ne veux pas rater l’ouverture du bal.

Dans la voiture, le silence est pesant. Ma mère marmonne qu’elle aurait dû m’accompagner faire les magasins. Mon père met la radio à fond pour couvrir l’ambiance glaciale. Je regarde par la fenêtre les rues de notre petite ville du Loiret défiler, les lampadaires allumés comme des sentinelles indifférentes à ma détresse.

Arrivée devant le collège, je descends sans un mot. Mes parents ne m’embrassent pas. Ils repartent aussitôt.

Sur le parvis, les autres élèves rient et prennent des photos. Les filles sont toutes en robes courtes et brillantes, les garçons en chemises repassées. Je sens les regards se tourner vers moi. Un groupe de filles chuchote en me voyant passer.

— T’as vu Camille ? On dirait Cendrillon… mais version foirée !

Je serre les dents et avance vers la salle des fêtes. La musique bat son plein à l’intérieur. Je me force à sourire quand Chloé, ma meilleure amie, vient vers moi.

— Ta robe est… originale ! dit-elle avec un sourire gêné.

Je sais qu’elle ment pour me rassurer. Mais ce soir, même Chloé ne peut rien contre la honte qui me colle à la peau.

Au buffet, je reste seule, jouant avec mon verre de soda. Les autres dansent, prennent des selfies qu’ils posteront sur Instagram avec des filtres et des hashtags joyeux. Moi, je me sens invisible et trop visible à la fois.

Soudain, un garçon de ma classe s’approche :

— Hé Camille ! Tu t’es perdue ? Le carnaval c’est en février !

Rires autour de moi. Je sens mes yeux piquer mais je refuse de pleurer devant eux. Je sors discrètement dans la cour du collège, là où personne ne viendra me chercher.

Je m’assois sur un banc glacé sous un lampadaire vacillant. J’entends encore les moqueries résonner dans ma tête : « meringue », « mariage des années 80 », « Cendrillon foirée »…

Pourquoi mes parents n’ont-ils pas pu me dire que j’étais belle ? Pourquoi ont-ils choisi ce soir-là pour se moquer de moi ?

Je repense à toutes ces fois où j’ai essayé d’attirer leur attention : mes dessins accrochés sur le frigo qu’ils n’ont jamais regardés, mes bulletins scolaires oubliés sur la table du salon… Ce soir, c’est comme si tout éclatait d’un coup.

J’entends la porte s’ouvrir derrière moi. C’est Madame Lefèvre, la prof principale.

— Camille ? Tout va bien ?

Je hoche la tête sans oser la regarder.

— Tu sais… tu es très jolie dans cette robe. Ce qui compte ce n’est pas ce que pensent les autres, mais ce que toi tu ressens quand tu la portes.

Je voudrais la croire mais c’est trop tard. La blessure est là, profonde.

Quand je rentre à la maison plus tard dans la nuit, mes parents dorment déjà. Je passe devant leur chambre sans bruit et m’enferme dans la salle de bains. J’enlève ma robe avec précaution et la plie soigneusement avant de la cacher tout au fond du placard.

Je me regarde dans le miroir : mes yeux sont rouges et gonflés. Je me demande si un jour ils verront vraiment qui je suis.

Le lendemain matin, au petit-déjeuner, personne ne parle du bal. Ma mère feuillette son magazine télé, mon père lit les infos sur son portable. Lucas mange ses céréales en silence.

Je voudrais leur crier ma douleur mais aucun son ne sort de ma bouche.

À l’école, les rumeurs vont vite. On me montre du doigt dans les couloirs. Je fais semblant de ne rien entendre mais chaque mot est une gifle invisible.

Le soir venu, je retrouve ma robe au fond du placard. Je passe ma main sur le tissu doux et je me demande : pourquoi est-ce si difficile d’être acceptée telle qu’on est ? Pourquoi ceux qui devraient nous aimer sont parfois nos premiers bourreaux ?

Est-ce que je finirai par pardonner ? Est-ce que je pourrai un jour porter cette robe sans avoir honte ?