Entre Deux Feux : Le Poids des Regrets

« Tu penses encore à elle, n’est-ce pas ? » La voix de Sarah résonne dans le salon silencieux, brisant le fil de mes pensées. Je sursaute, la tasse de café tremble dans ma main. Je n’ose pas répondre. Comment lui avouer que chaque soir, quand elle s’endort à mes côtés, c’est le visage d’Élodie qui hante mes rêves ?

Tout le monde me juge. Mes parents, mes amis, même Camille, ma fille de huit ans, qui ne comprend pas pourquoi papa ne rentre plus à la maison. Je me souviens du jour où j’ai quitté Élodie. C’était un matin d’automne à Lyon. Les feuilles tombaient, et moi aussi, je tombais : dans les bras de Sarah, vingt ans de moins, pleine de vie et d’insouciance. J’avais cru que l’amour pouvait tout effacer. Mais on n’efface pas vingt ans de vie commune d’un revers de main.

Sarah s’approche, ses yeux brillent d’une colère contenue. « Tu parles toujours d’elle… Et de Camille. Je ne suis pas assez pour toi ? »

Je baisse la tête. Elle a raison. Je ne suis pas là, pas vraiment. Je vis dans le passé. Je repense à ces dimanches matin où Élodie préparait des crêpes pendant que Camille dessinait sur la table de la cuisine. À ces disputes aussi, qui nous ont éloignés petit à petit. J’ai fui la routine, la lassitude… pour me retrouver prisonnier d’une autre cage.

Sarah claque la porte de la chambre. Je reste seul dans le salon, entouré du silence et des souvenirs. Je prends mon téléphone, hésite à appeler Élodie. Que lui dirais-je ? Que j’ai fait une erreur ? Que je regrette tout ?

Le lendemain, je croise mon père sur le marché de la Croix-Rousse. Il me lance ce regard sévère qu’il réservait aux mauvais bulletins scolaires. « Tu as tout gâché, Jean. On ne quitte pas sa famille comme ça. »

Je serre les poings. Il ne comprend pas. Personne ne comprend ce vide qui m’habite depuis que j’ai quitté Élodie et Camille. Sarah essaie, mais elle n’est pas Élodie. Elle ne connaît pas mes failles, mes peurs, mes rêves brisés.

Un soir, alors que Sarah dort déjà, je reçois un message d’Élodie : « Camille a eu une mauvaise note en maths. Elle aurait besoin que tu l’aides. » Mon cœur se serre. Je saute sur l’occasion pour passer du temps avec ma fille.

Chez Élodie, l’appartement n’a pas changé. Les dessins de Camille sont toujours accrochés au frigo. Elle m’accueille avec un sourire fatigué.

— Merci d’être venu, Jean.
— C’est normal…

Camille se jette dans mes bras. Je sens son petit cœur battre contre ma poitrine. Pendant qu’on révise les fractions, Élodie prépare du thé dans la cuisine. Je la regarde à la dérobée : ses cheveux tirés en chignon, ses mains abîmées par le travail… Elle n’a jamais été aussi belle.

Après avoir couché Camille, Élodie s’assied en face de moi.

— Tu es heureux avec elle ?

Je reste muet. Les mots se bousculent dans ma gorge.

— Tu sais… tu peux revenir si tu veux… Pour Camille.

Je sens les larmes monter. J’ai envie de tout lâcher : Sarah, cette nouvelle vie qui ne me ressemble pas… Mais j’ai peur. Peur de blesser encore plus de monde.

En rentrant chez Sarah, je trouve ses valises prêtes dans l’entrée.

— Je pars chez ma sœur à Bordeaux quelques jours. Réfléchis à ce que tu veux vraiment, Jean.

Je reste seul avec mes regrets et cette question lancinante : ai-je le droit de revenir en arrière ?

Les jours passent. Je multiplie les allers-retours entre deux mondes : celui de Sarah, fait de promesses non tenues et de silences gênants ; celui d’Élodie et Camille, où chaque sourire me rappelle ce que j’ai perdu.

Un soir d’orage, alors que je marche seul sur les quais du Rhône, je m’arrête sous un lampadaire trempé de pluie.

« Pourquoi ai-je tout détruit ? Peut-on réparer ce qu’on a brisé ? »

Et vous… avez-vous déjà regretté un choix au point de vouloir tout recommencer ?