Dix ans plus tard, le père biologique de mon fils veut revenir dans nos vies. Que dois-je faire ?

« Camille, ouvre-moi. S’il te plaît… »

La voix de Julien résonne derrière la porte d’entrée, rauque, étranglée par l’émotion. Mon cœur cogne si fort que j’ai l’impression qu’il va exploser. Dix ans. Dix ans sans nouvelles, sans un mot, sans un geste. Dix ans à expliquer à mon fils, Hugo, pourquoi son père n’était pas là. Dix ans à me convaincre que j’étais assez forte pour deux.

Je reste figée, la main sur la poignée. Hugo est dans sa chambre, il révise son contrôle de maths. Il ne sait rien. Il ne se doute de rien. Pour lui, son père est un fantôme dont on ne parle qu’à demi-mot, un prénom murmuré dans les souvenirs douloureux.

« Camille… Je t’en supplie. Je veux juste parler. »

Je ferme les yeux. Les souvenirs affluent : la maternité, la fatigue, la peur… et Julien qui signait le certificat de naissance avec un sourire ému. Puis le vide. Une semaine après la naissance d’Hugo, il est parti. Un texto laconique : « Je ne peux pas. Pardonne-moi. » Et plus rien.

J’ouvre la porte à demi, le cœur serré.

Julien a changé. Il a les cheveux poivre et sel, des cernes profondes sous les yeux. Il tient un bouquet de pivoines – mes fleurs préférées. Je sens la colère monter.

— Tu crois qu’un bouquet va effacer dix ans d’absence ?

Il baisse les yeux.

— Je sais que j’ai été lâche… Mais je veux voir Hugo. Je veux lui parler.

Je ris nerveusement.

— Tu veux voir Hugo ? Après tout ce temps ? Tu sais seulement ce qu’il aime ? Sais-tu qu’il joue au foot tous les mercredis ? Qu’il déteste les carottes râpées et qu’il rêve d’aller à Marseille voir l’OM ?

Julien se mord la lèvre.

— Je sais que je n’ai aucun droit… Mais je suis son père.

Un silence pesant s’installe. Je sens mes jambes trembler. Je repense à toutes ces nuits blanches, à ces rendez-vous chez le pédiatre où j’étais seule, à ces fêtes des pères où Hugo faisait semblant de ne pas être triste.

— Pourquoi maintenant ? Pourquoi tu reviens ?

Julien s’essuie les yeux du revers de la main.

— J’ai eu un accident il y a six mois. J’ai cru que j’allais mourir… Et j’ai compris que je ne pouvais plus fuir. Je veux réparer ce que j’ai brisé.

Je sens la colère se fissurer, remplacée par une tristesse immense.

— Tu ne peux pas réparer dix ans d’absence avec des excuses et des regrets.

Il hoche la tête.

— Laisse-moi au moins essayer…

Je ferme la porte doucement, sans répondre. Je m’effondre contre le mur du couloir, en larmes. Hugo sort de sa chambre, inquiet.

— Maman ? Ça va ?

Je sèche mes larmes en vitesse.

— Oui, mon cœur. Juste un peu fatiguée.

Il me regarde avec ses grands yeux bruns – les mêmes que Julien – et je sens une vague d’amour me submerger.

Le soir venu, je n’arrive pas à dormir. Je repense à tout ce que j’ai sacrifié pour Hugo : mes études de droit abandonnées, les petits boulots pour payer le loyer du studio à Nantes, les week-ends passés à jouer au parc au lieu de sortir avec mes amies. Mais jamais je n’ai regretté d’être sa mère. Jamais.

Le lendemain matin, je trouve une lettre glissée sous la porte.

« Camille,
Je comprends ta colère et ta méfiance. Je ne demande pas ton pardon, seulement une chance de connaître Hugo. S’il veut me voir, je serai là samedi à 15h au parc du Jardin des Plantes. Si tu refuses, je comprendrai et je disparaîtrai pour toujours.
Julien »

Je reste longtemps assise avec cette lettre entre les mains. Que dois-je faire ? Protéger Hugo d’une nouvelle déception ou lui laisser la possibilité de connaître son père ?

Le samedi arrive trop vite. Hugo me regarde en enfilant son maillot de foot.

— Maman… Pourquoi tu es si bizarre depuis deux jours ?

Je prends une grande inspiration.

— Hugo… Ton papa veut te voir.

Il me fixe, interdit.

— Mon papa ? Mais… pourquoi maintenant ?

Je sens ma voix trembler.

— Il dit qu’il a fait des erreurs et qu’il veut te connaître… Mais tu n’es pas obligé d’y aller si tu ne veux pas.

Hugo baisse la tête.

— J’aimerais savoir à quoi il ressemble… Et pourquoi il est parti.

Nous marchons jusqu’au parc en silence. Julien est là, assis sur un banc, nerveux. Quand il voit Hugo, il se lève précipitamment.

— Bonjour Hugo…

Hugo le regarde sans rien dire. Julien sort timidement un ballon de foot de son sac.

— Tu veux jouer avec moi ?

Hugo hésite puis hoche la tête. Ils s’éloignent tous les deux sur la pelouse pendant que je reste sur le banc, le cœur serré mais étrangement soulagé.

Après une heure de passes maladroites et de sourires timides, Hugo revient vers moi.

— Il est bizarre… mais il a l’air gentil.

Je souris tristement.

Le soir venu, alors qu’Hugo dort paisiblement, je me demande si j’ai fait le bon choix. Est-ce que j’ai eu raison de laisser Julien revenir dans nos vies ? Est-ce que mon fils saura lui pardonner ce que moi-même je n’arrive pas à oublier ?

Parfois je me demande : peut-on vraiment réparer le passé ? Ou faut-il apprendre à vivre avec ses cicatrices ?