Après le mariage, j’ai compris que j’avais épousé un fils à sa maman : Mon combat pour exister
« Tu as bien rangé les serviettes comme je te l’ai montré, Camille ? » La voix de Madame Dupuis résonne encore dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre les dents, les mains tremblantes sur la vaisselle. François, mon mari depuis à peine trois semaines, lève à peine les yeux de son téléphone. Je me sens invisible, étrangère dans cette maison qui n’a jamais été la mienne.
Je me souviens de notre mariage à la mairie de Tours. Tout semblait parfait : la robe ivoire, le sourire de François, les félicitations chaleureuses de nos amis. Mais dès le lendemain, la réalité s’est imposée avec la force d’un orage d’été. Nous avons emménagé chez ses parents « le temps de trouver mieux », disait-il. Mais ce « temps » s’est éternisé.
Dès le matin, c’est elle qui décide : ce qu’on mange, à quelle heure on se lève, même la couleur des rideaux dans notre chambre. François ne dit rien. Pire, il acquiesce à tout. « Maman a raison, tu sais », répète-t-il comme un refrain qui me glace le sang.
Un soir, alors que je tente timidement de proposer une sortie au cinéma, Madame Dupuis s’exclame : « Le cinéma ? Mais tu sais bien que François n’aime pas ça ! » Il baisse les yeux et hoche la tête. Je me sens étouffer.
Les jours passent et je perds pied. Mes amies me demandent pourquoi je ne donne plus de nouvelles. Je n’ose pas leur avouer que je n’ai même plus le droit de choisir le parfum du savon dans la salle de bains. J’ai honte. Moi, Camille Martin, diplômée en lettres modernes, indépendante et pleine de rêves, je me retrouve à demander la permission pour sortir acheter du pain.
Un dimanche après-midi, alors que je range la vaisselle avec Madame Dupuis, elle me lance : « Tu sais, ici, on fait comme ça depuis toujours. Il faut t’adapter si tu veux que ça marche avec François. » J’ai envie de hurler. Mais je ravale mes larmes et je souris faiblement.
La nuit suivante, je me tourne et me retourne dans le lit conjugal. François dort paisiblement. Je chuchote : « Tu m’aimes encore ? » Il grogne à peine. Je me sens seule comme jamais.
Un matin, alors que je prépare le café, ma mère m’appelle. Sa voix douce me fait chavirer : « Ma chérie, tu as l’air fatiguée… Tu es heureuse ? » Je fonds en larmes. Elle comprend tout sans un mot de plus.
Le soir même, j’ose enfin parler à François :
— François, tu trouves normal que ta mère décide de tout ?
Il hausse les épaules :
— Elle veut juste nous aider…
— Mais moi ? Est-ce que tu m’entends encore ?
Il soupire :
— Tu dramatises toujours tout.
Je sens une colère sourde monter en moi. Pour la première fois depuis des semaines, je refuse d’obéir à Madame Dupuis. Je décide d’aller marcher seule au bord de la Loire. L’air frais me gifle le visage, mais je respire enfin.
En rentrant, elle m’attend sur le pas de la porte :
— Où étais-tu ?
Je la regarde droit dans les yeux :
— J’avais besoin d’être seule.
Elle fronce les sourcils mais ne dit rien.
Cette nuit-là, je dors mal mais je rêve d’une vie où je pourrais choisir mes propres couleurs, mes propres envies. Le lendemain matin, j’annonce à François :
— Je vais passer quelques jours chez mes parents.
Il ne proteste pas. Peut-être sent-il que quelque chose a changé.
Chez mes parents, je retrouve un peu de moi-même. Ma mère me serre fort contre elle :
— Tu n’as pas à t’effacer pour plaire à qui que ce soit.
Je pleure longtemps dans ses bras.
Les jours passent et je réfléchis à ce que je veux vraiment. Est-ce cela l’amour ? S’effacer pour ne pas déranger ? Ou bien dois-je apprendre à dire non ?
Quand je reviens chez les Dupuis, j’ai pris une décision. Ce soir-là, autour du dîner, j’annonce calmement :
— J’ai besoin d’espace pour exister. Si notre couple doit survivre, il faut qu’on parte d’ici.
François blêmit. Sa mère éclate :
— Mais enfin ! Tu veux détruire notre famille ?
Je réponds doucement mais fermement :
— Non. Je veux juste vivre ma vie avec l’homme que j’aime.
Le silence s’installe. François finit par murmurer :
— Peut-être qu’on devrait chercher un appartement…
Sa mère quitte la table en claquant la porte.
Ce soir-là, pour la première fois depuis longtemps, j’ai l’impression d’avoir retrouvé ma voix.
Mais au fond de moi subsiste une question lancinante : pourquoi ai-je attendu si longtemps avant de dire non ? Et vous… jusqu’où seriez-vous prêts à aller pour ne pas vous perdre dans le regard des autres ?