Entre Silence et Pardon : Mon Combat pour Retrouver Maman
« Tu ne comprends jamais rien ! » La voix de ma mère résonne encore dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre la tasse de café entre mes mains, les jointures blanches, le cœur battant trop fort. Il est 7h du matin, un mardi pluvieux à Lyon, et déjà, la journée s’annonce lourde. Françoise, ma mère, me regarde avec ce mélange de fatigue et de déception qui me transperce depuis l’enfance. Je voudrais lui répondre, lui crier que moi aussi, j’ai mal, mais les mots restent coincés, avalés par la peur de tout aggraver.
Depuis la mort de papa, il y a cinq ans, tout a changé. Avant, il était le tampon, celui qui calmait les tempêtes. Maintenant, il ne reste que nous deux, deux étrangères sous le même toit. Je me souviens de ce matin-là, quand j’ai trouvé maman assise dans le salon, les yeux rouges, la photo de papa serrée contre elle. J’ai voulu la prendre dans mes bras, mais elle m’a repoussée d’un geste sec. Depuis, chaque tentative de rapprochement se solde par un mur de silence ou une dispute éclatante.
« Tu pourrais au moins faire un effort, Justine ! »
Je baisse les yeux, honteuse. J’ai 24 ans, je travaille à la bibliothèque municipale, je paie une partie du loyer, mais rien ne semble suffire. Maman me reproche tout : mes horaires, mes amis, ma façon de m’habiller, même ma foi. Pourtant, c’est bien la foi qui m’a sauvée de sombrer. Depuis quelques mois, je vais à l’église Saint-Nizier, je prie, je cherche un sens à tout ce chaos. Mais à la maison, la foi est un sujet tabou. Maman, elle, n’y croit plus depuis la mort de papa.
Un soir, alors que je rentre tard, je la trouve assise dans la pénombre, une cigarette à la main. L’odeur me pique les yeux. Elle ne me regarde pas.
« Tu étais encore à l’église ? »
Je hoche la tête. Elle soupire, écrase sa cigarette.
« Tu crois vraiment que ça va changer quelque chose ? »
Je sens la colère monter, mais je me retiens. « Peut-être pas. Mais ça m’aide à tenir. »
Elle éclate de rire, un rire amer. « Moi, je n’ai plus rien à quoi me raccrocher. »
Je voudrais lui dire que je comprends, que moi aussi j’ai peur, que moi aussi je me sens seule. Mais je n’y arrive pas. Alors je monte dans ma chambre, je m’effondre sur le lit et je prie. Je prie pour elle, pour moi, pour qu’un jour on arrive à se parler sans se blesser.
Les semaines passent, les disputes s’enchaînent. Un soir, la tension explose. Je rentre plus tôt que prévu et je la surprends en train de fouiller dans mes affaires. Mon journal intime est ouvert sur le bureau.
« Qu’est-ce que tu fais ?! »
Elle sursaute, referme le carnet à la hâte. « Je voulais juste comprendre ce qui se passe dans ta tête ! »
Je sens la trahison me brûler. « Tu n’as pas le droit ! »
Elle éclate en sanglots. C’est la première fois que je la vois pleurer ainsi depuis des années. « Je n’y arrive plus, Justine… Je ne sais plus comment t’aimer. »
Je reste figée, incapable de bouger. Les larmes me montent aux yeux. « Moi non plus, maman… »
Le silence s’installe, pesant. Puis, sans réfléchir, je m’approche et je la serre dans mes bras. Elle se débat d’abord, puis s’effondre contre moi. Nous pleurons ensemble, longtemps, comme si toutes ces années de douleur se vidaient enfin.
Ce soir-là, j’ai compris que la foi ne résout pas tout, mais qu’elle donne la force de pardonner. Petit à petit, nous avons appris à nous parler autrement. J’ai invité maman à venir avec moi à l’église. Elle a refusé, mais elle a accepté de m’écouter raconter ce que j’y vivais. J’ai découvert qu’elle aussi priait, en cachette, parfois. Nous avons commencé à partager nos souvenirs de papa, à rire de ses blagues, à pleurer ensemble sans honte.
Il y a encore des jours difficiles. Parfois, la colère revient, le silence aussi. Mais maintenant, je sais que rien n’est irréparable. La foi m’a appris à espérer, à tendre la main même quand tout semble perdu.
Aujourd’hui, alors que je regarde maman préparer le dîner, je me demande : combien de familles vivent ce même combat, ce même silence ? Et si on osait, un jour, dire simplement : « J’ai besoin de toi » ?