La préférence de ma belle-mère : Quand la famille se déchire
— Tu sais très bien que Mathieu a besoin de moi, Camille. Julien est entre de bonnes mains avec toi, non ?
La voix sèche de ma belle-mère, Françoise, résonne encore dans ma tête. Je serre la tasse de café brûlant entre mes mains, assise dans la cuisine silencieuse de notre appartement à Nantes. Julien, mon mari, dort dans la chambre, épuisé par la chimiothérapie. Depuis des semaines, je me bats seule contre sa maladie, et chaque jour, l’absence de soutien de sa propre mère me ronge un peu plus.
Tout a commencé un matin de février. Julien, d’habitude si fort et indépendant — même avec une grippe il insistait pour sortir acheter du pain — n’a pas pu se lever. Son visage était pâle, ses mains tremblaient. Le diagnostic est tombé comme une sentence : leucémie. J’ai appelé Françoise en larmes, espérant trouver du réconfort.
— Oh ma pauvre fille… Mais tu sais, Mathieu vient de perdre son travail, il a besoin de moi en ce moment. Julien est solide, il s’en sortira.
J’ai cru mal entendre. Mathieu, son fils cadet, venait d’être licencié d’une start-up à Paris. Depuis toujours, Françoise avait un faible pour lui : le petit dernier, l’enfant prodige qui avait fait une école de commerce. Julien, lui, était l’aîné discret, celui qui ne demandait rien.
Les semaines ont passé. Je passais mes journées à l’hôpital avec Julien, à gérer les papiers, les rendez-vous médicaux, la maison. Françoise n’est venue qu’une fois — une visite éclair où elle a passé plus de temps au téléphone avec Mathieu qu’au chevet de son fils malade.
Un soir, alors que je rentrais épuisée, j’ai trouvé Julien en larmes.
— Elle ne m’a même pas demandé comment j’allais… Elle a juste parlé de Mathieu et de ses problèmes d’argent.
J’ai senti la colère monter. Comment pouvait-elle ignorer la souffrance de son propre fils ? J’ai pris mon téléphone et j’ai appelé Françoise.
— Françoise, il faut que vous veniez voir Julien. Il a besoin de vous.
— Camille, tu dramatises. Je suis déjà très occupée avec Mathieu. Et puis tu t’en sors très bien toute seule.
J’ai raccroché sans un mot. Cette nuit-là, j’ai pleuré en silence à côté de Julien qui dormait sous calmants.
Les jours suivants, la tension est montée entre nous. Julien refusait que je parle à sa mère :
— Laisse tomber, Camille. Elle ne changera jamais.
Mais moi je ne pouvais pas accepter cette injustice. J’ai commencé à éviter les repas familiaux du dimanche chez Françoise. Les rares fois où nous y allions, elle posait mille questions à Mathieu sur ses recherches d’emploi et ignorait presque totalement Julien.
Un dimanche, alors que nous étions tous réunis autour du gigot traditionnel, Mathieu a annoncé qu’il partait s’installer à Lyon pour un nouveau poste.
— Je suis si fière de toi ! s’est exclamée Françoise en l’embrassant longuement.
Julien a baissé les yeux sur son assiette. Personne n’a parlé de sa dernière séance de chimio ni demandé comment il allait.
En rentrant à la maison ce soir-là, il a explosé :
— Je n’existe pas pour elle ! Même malade, je ne compte pas !
J’ai tenté de le consoler mais je sentais que quelque chose s’était brisé en lui.
La maladie avançait et l’isolement aussi. Les amis se faisaient rares ; la famille de Julien semblait avoir disparu. Un soir d’avril, alors que je préparais une soupe pour Julien trop faible pour manger solide, j’ai reçu un message de Françoise :
« Je pars quelques jours chez Mathieu à Lyon pour l’aider à s’installer. Donne-moi des nouvelles si besoin. »
J’ai éclaté en sanglots. J’avais envie de hurler : « Et ton autre fils ? Celui qui lutte chaque jour pour survivre ? »
Julien a fini par sortir de l’hôpital après six mois de traitement. Il était amaigri mais vivant. Nous avons décidé de partir quelques jours sur la côte bretonne pour souffler. C’est là-bas qu’il m’a dit :
— Je crois que je dois couper les ponts avec elle… Pour me protéger.
J’ai compris sa décision mais j’avais mal pour lui. Comment une mère pouvait-elle faire autant de mal sans même s’en rendre compte ?
Aujourd’hui encore, alors que Julien va mieux et que nous essayons de reconstruire notre vie loin des conflits familiaux, je repense à tout ce que nous avons traversé seuls. Parfois je me demande : combien d’autres familles vivent ce genre d’injustice silencieuse ? Est-ce qu’on peut vraiment guérir des blessures infligées par ceux qui devraient nous aimer sans condition ?