Épuisée par la Paresse de Mon Mari : Le Combat de Camille

— Tu comptes faire quelque chose aujourd’hui, Antoine ?

Ma voix tremble, mais je ne peux plus retenir la colère. Il est midi passé, et mon mari est encore affalé sur le canapé, les yeux rivés sur son téléphone. Les volets sont à peine entrouverts, la lumière grise de Paris filtre à peine dans notre petit appartement du 12ème. Je me tiens debout, les bras croisés, mon sac à main encore sur l’épaule. J’ai couru toute la matinée : déposer les enfants à l’école, passer à la pharmacie pour ma mère, faire les courses. Et lui…

— Je me repose, Camille. J’ai mal dormi, c’est tout.

Sa voix est lasse, presque agacée. Je serre les dents. Depuis des mois, c’est la même rengaine. Antoine, mon mari depuis huit ans, celui qui m’a séduite par sa douceur et sa générosité, n’est plus que l’ombre de lui-même. Avant, il travaillait dans une petite agence de communication à Bastille. Il rentrait tard, fatigué mais fier. Il me disait : « Tu n’as pas besoin de travailler si tu ne veux pas. Profite, occupe-toi de toi. »

J’ai profité. J’ai repris mes études de psychologie à distance, j’ai fait du bénévolat à la bibliothèque du quartier. Je me sentais libre et légère. Mais tout a changé il y a deux ans, quand Antoine a perdu son emploi après une restructuration. Au début, il disait que ce n’était qu’une pause, qu’il allait rebondir. Mais les semaines sont devenues des mois. Il a arrêté de chercher sérieusement. Il s’est mis à traîner en jogging toute la journée, à regarder des séries ou à jouer sur son téléphone.

Je me suis remise à travailler comme surveillante dans un lycée du 20ème pour payer les factures. Mes économies ont fondu. Antoine ne ramenait plus rien. Il disait que le marché était bouché, que personne ne voulait d’un « vieux » de quarante ans. Je l’ai cru au début. J’ai voulu le soutenir, mais je me suis vite sentie seule.

— Tu pourrais au moins préparer le déjeuner !

Il hausse les épaules sans me regarder.

— Tu sais bien que je ne suis pas doué pour ça…

Je sens les larmes monter. Je pense à nos enfants, Lucie et Paul, qui me demandent chaque soir : « Papa va retrouver du travail ? » Je mens pour eux. Je dis que papa est fatigué, qu’il cherche encore.

Le soir venu, je prépare le dîner pendant qu’Antoine s’enferme dans la salle de bain avec son portable. Lucie vient m’aider à mettre la table.

— Maman, pourquoi papa ne joue plus avec nous ?

Je m’arrête net. Je regarde ma fille de sept ans et je sens mon cœur se briser.

— Il est un peu triste en ce moment, ma chérie. Mais ça va s’arranger.

Je n’y crois plus moi-même.

Après le repas, Antoine s’installe devant la télé sans un mot. Je range la cuisine en silence. Plus tard dans la soirée, je tente une dernière fois d’ouvrir le dialogue.

— Antoine… Tu pourrais au moins m’aider un peu ? Les enfants ont besoin de toi aussi.

Il soupire bruyamment.

— Tu crois que je ne souffre pas ? Tu crois que ça m’amuse d’être comme ça ?

Je m’assieds en face de lui.

— Alors fais quelque chose ! Va voir quelqu’un ! Cherche du travail ! Parle-moi ! Mais ne reste pas là à attendre que tout s’arrange tout seul !

Il se lève brusquement et claque la porte de la chambre.

Je reste seule dans le salon, le cœur battant trop fort. Je pense à mes parents qui me disent : « Tu dois être patiente, Camille. Les hommes vivent mal le chômage… » Mais combien de temps dois-je attendre ? Dois-je sacrifier mon bonheur et celui de mes enfants pour ménager sa fierté ?

Les jours passent et se ressemblent. J’enchaîne les petits boulots : surveillante le matin, aide aux devoirs l’après-midi, baby-sitting le soir parfois. Je dors mal, je mange peu. Je deviens irritable avec les enfants. Un soir, Paul fait tomber son verre d’eau et je crie plus fort que je ne l’aurais voulu.

— Excuse-moi…

Il me regarde avec des yeux ronds et je fonds en larmes devant lui.

Un dimanche matin, ma mère débarque sans prévenir.

— Camille, tu vas finir par tomber malade à ce rythme-là !

Elle regarde Antoine d’un air noir.

— Et toi, tu comptes te réveiller quand ?

Antoine ne répond pas. Il quitte la pièce sans un mot.

Ma mère me prend dans ses bras.

— Tu dois penser à toi aussi.

Mais comment faire ? J’ai peur de tout perdre si je pars : notre appartement, la stabilité des enfants… Pourtant, rester ainsi me détruit peu à peu.

Un soir d’avril, alors que Paris s’endort sous une pluie fine, je prends mon courage à deux mains.

— Antoine… Il faut qu’on parle sérieusement.

Il me regarde enfin dans les yeux.

— Je ne peux plus continuer comme ça. J’ai besoin que tu changes ou que tu partes quelques temps chez tes parents. J’étouffe ici.

Il reste silencieux longtemps puis murmure :

— J’ai honte… Je ne sais plus comment faire…

Pour la première fois depuis des mois, il pleure devant moi. Je prends sa main malgré tout.

— On peut demander de l’aide ensemble si tu veux… Mais il faut que tu fasses un pas vers nous aussi.

Cette nuit-là, je dors mal mais je sens une brèche s’ouvrir dans notre mur de silence.

Aujourd’hui encore rien n’est réglé mais j’ai osé parler. J’ai compris que je n’étais pas coupable de son mal-être et que j’avais le droit d’exister aussi.

Est-ce égoïste de vouloir être heureuse quand l’autre s’enfonce ? Combien de femmes vivent ce combat silencieux derrière leurs volets fermés ?