Entre Deux Feux : Quand la Fille de Mon Compagnon Bouleverse Notre Vie

« Tu pourrais au moins frapper avant d’entrer ! » Ma voix tremble, oscillant entre la colère et la lassitude. Camille me fixe, insolente, ses écouteurs vissés dans les oreilles. Elle hausse les épaules, comme si j’étais invisible. Vincent, mon compagnon, surgit derrière elle, l’air gêné. « Laisse-la, Claire. Elle est fatiguée, c’est tout. »

Fatiguée ? Et moi alors ? Depuis six mois que Camille vient chez nous chaque week-end — alors qu’on avait convenu qu’elle resterait chez sa mère la plupart du temps — je ne dors plus. Je vis dans la crainte de la prochaine dispute, du prochain regard noir. J’ai l’impression d’être une intruse dans mon propre appartement.

Tout avait pourtant bien commencé avec Vincent. Nous nous sommes rencontrés lors d’un vernissage à Lyon. Il m’a charmée avec son humour discret et sa tendresse maladroite. Divorcé depuis deux ans, il partageait la garde de Camille avec son ex-femme, Sophie. Au début, il m’avait assuré que sa fille n’était « pas compliquée », qu’elle acceptait bien la séparation. Mais dès notre premier dîner à trois, j’ai compris que rien ne serait simple.

Camille a treize ans. L’âge des tempêtes. Elle ne me parle presque jamais directement ; elle préfère s’adresser à son père comme si je n’existais pas. Quand elle vient, elle sème ses affaires partout : baskets sales dans le salon, cahiers ouverts sur la table de la cuisine, écouteurs qui traînent sur le canapé. Je me sens dépossédée de mon espace.

Un soir, alors que Vincent était sorti acheter du pain, Camille est entrée dans la cuisine où je préparais le dîner. Elle s’est plantée devant moi, les bras croisés.

— Pourquoi tu vis ici ?

J’ai failli lâcher le couteau que je tenais.

— Parce que… j’aime ton père.

Elle a ricané.

— Tu crois qu’il t’aime plus que moi ?

Je suis restée sans voix. Comment répondre à ça ?

Depuis ce jour-là, chaque visite de Camille est devenue une épreuve. Elle arrive sans prévenir, parfois même en pleine semaine alors qu’elle devrait être chez sa mère. J’ai tenté d’en parler à Vincent.

— On avait dit qu’elle ne viendrait que le week-end…

Il soupire, fatigué lui aussi.

— Sophie travaille tard en ce moment… Et puis Camille ne veut pas rester seule.

— Mais moi non plus je n’ai pas choisi cette situation !

Il me regarde avec tristesse.

— C’est ma fille, Claire…

Je me sens coupable aussitôt. Comment lui demander de choisir ? Mais à chaque fois que Camille débarque, je sens mon couple vaciller un peu plus.

Un samedi matin, alors que je m’apprêtais à sortir courir pour évacuer ma frustration, j’ai surpris une conversation entre Vincent et Camille dans le salon.

— Tu pourrais faire un effort avec Claire…

— C’est toi qui fais aucun effort ! Tu passes tout ton temps avec elle !

— Ce n’est pas vrai…

— Si ! Depuis qu’elle est là, tu m’oublies !

J’ai refermé doucement la porte derrière moi pour ne pas les déranger. Mais les mots de Camille m’ont poursuivie toute la journée.

Le soir même, j’ai proposé à Vincent d’aller dîner tous les trois au restaurant. Peut-être qu’en dehors de l’appartement, les tensions s’apaiseraient ? Mauvaise idée. Camille a passé le repas à pianoter sur son téléphone, ignorant nos tentatives de conversation.

De retour à la maison, j’ai craqué.

— Je n’en peux plus, Vincent ! J’ai l’impression d’être une étrangère ici !

Il s’est assis lourdement sur le canapé.

— Je ne sais plus quoi faire… J’ai peur de perdre ma fille si je te soutiens trop… Mais je t’aime aussi.

Les larmes me sont montées aux yeux. Pourquoi fallait-il que l’amour soit si compliqué ?

Quelques jours plus tard, Sophie m’a appelée. Je ne m’y attendais pas du tout.

— Claire ? Je voulais te dire… Je sais que Camille n’est pas facile en ce moment. Elle souffre beaucoup de la séparation et elle a peur que tu prennes sa place auprès de Vincent.

Sa voix était douce mais ferme.

— Je ne veux pas te mettre dans une position impossible. Peut-être qu’on pourrait trouver une solution ensemble ?

Pour la première fois depuis des mois, j’ai senti une lueur d’espoir. Peut-être qu’en parlant toutes les trois — sans Vincent — on pourrait apaiser les choses ?

Le rendez-vous a eu lieu dans un petit café du centre-ville. Camille est arrivée en traînant les pieds, les bras croisés sur sa poitrine.

— Je ne veux pas te voler ton père, Camille… ai-je murmuré. J’aimerais juste qu’on puisse vivre ensemble sans se faire de mal.

Elle a détourné les yeux, mais j’ai vu ses lèvres trembler.

Sophie a pris sa main.

— Tu sais, ton père a le droit d’être heureux aussi…

Camille a fini par fondre en larmes. Ce jour-là, quelque chose s’est débloqué entre nous. Ce n’est pas devenu magique du jour au lendemain — il y a encore des disputes, des silences pesants — mais au moins on essaie de se comprendre.

Aujourd’hui encore, je me demande : est-ce qu’on peut vraiment trouver sa place dans une famille recomposée sans blesser personne ? Est-ce que l’amour suffit à tout réparer ? Qu’en pensez-vous ?