« Pas besoin d’aide, alors ! » – Ce que Mamie a dit avant de partir
« Tu n’as pas besoin de moi, alors ? » La voix de ma mère résonne encore dans l’entrée, sèche, blessée. Elle a claqué la porte derrière elle, me laissant seule avec mon bébé de trois jours dans les bras. Je me suis effondrée sur le canapé, les larmes coulant sans bruit sur mes joues fatiguées.
Je m’appelle Camille. J’ai trente-deux ans, et il y a une semaine, j’étais persuadée que tout irait bien. J’avais imaginé ce retour à la maison comme un cocon : Michael, mon mari, rentrerait du travail avec des fleurs, ma mère préparerait des petits plats et veillerait sur le bébé pendant que je dormirais un peu. Mais la réalité s’est imposée, brutale et froide, comme le carrelage sous mes pieds nus ce matin-là.
Ma mère, Françoise, est arrivée le lendemain de ma sortie de la maternité. Elle portait son éternel tailleur bleu marine et ce parfum trop fort qui me donnait mal à la tête quand j’étais enfant. « Tu verras, Camille, un bébé ça dort tout le temps ! » a-t-elle lancé en déposant son sac dans l’entrée. Mais mon fils, Paul, ne dormait pas. Il pleurait, il tétait mal, il avait des coliques. Et moi, je ne savais plus comment tenir debout.
Le premier soir, alors que Michael rentrait du travail – fatigué mais affamé – j’ai demandé à ma mère si elle pouvait surveiller Paul pendant que je prenais une douche rapide. Elle a haussé les épaules : « Je ne sais pas comment on fait avec ces petits trucs maintenant… Tu as tout changé depuis mon époque ! »
J’ai pris ma douche en vitesse, le cœur serré à chaque cri du bébé. Quand je suis revenue, Paul hurlait dans son berceau et ma mère pianotait sur son téléphone. « Il a faim », a-t-elle dit sans lever les yeux. J’ai eu envie de hurler moi aussi.
Les jours suivants ont été pires. Ma mère voulait aider… mais à sa façon. Elle rangeait mes placards – « Tu ne devrais pas mettre les assiettes ici ! » – critiquait mes choix – « Tu allaites encore ? Tu vas l’habituer aux bras ! » – et me racontait comment elle avait élevé mes frères et moi « sans jamais se plaindre ». Mais pour ce dont j’avais vraiment besoin – qu’elle prenne Paul dans ses bras dix minutes pour que je dorme ou que je mange – elle n’était jamais là.
Un matin, épuisée après une nuit blanche, j’ai osé lui demander :
— Maman, tu pourrais sortir Paul en poussette ? Juste une demi-heure…
Elle a soupiré :
— Je ne suis pas ta nounou, Camille. Tu dois apprendre à te débrouiller. Moi aussi j’ai tout fait toute seule.
J’ai senti la colère monter. Toute seule ? Vraiment ? Je me souvenais pourtant de ma grand-mère qui venait chaque mercredi s’occuper de nous pendant que maman travaillait. Mais ça, elle l’oubliait.
Le soir même, Michael est rentré tard. Il a embrassé Paul distraitement et m’a demandé ce qu’il y avait à dîner. J’ai explosé :
— Tu ne pourrais pas t’occuper du bébé pendant que je prépare à manger ?
Il m’a regardée comme si j’étais folle :
— Je travaille toute la journée, Camille…
Ma mère a assisté à la scène en silence. Puis elle s’est levée brusquement :
— Si tu n’as pas besoin d’aide, alors je m’en vais !
Et elle est partie.
La nuit suivante a été la plus longue de ma vie. Paul pleurait sans cesse. J’ai fini par m’asseoir par terre dans la cuisine, le dos contre le frigo, à pleurer avec lui. J’ai pensé à toutes ces femmes qui racontent sur les forums leurs mères parfaites qui cuisinent des gratins et promènent les bébés au parc pendant qu’elles dorment. Pourquoi pas moi ? Qu’est-ce qui clochait chez nous ?
Le lendemain matin, j’ai appelé mon amie Sophie.
— Ma mère est partie… Je crois qu’elle m’en veut.
Sophie a soupiré :
— Les mamans d’aujourd’hui ne sont pas comme celles d’avant… Elles veulent aider mais pas comme on en a besoin.
J’ai repensé à toutes ces petites phrases de Françoise : « À mon époque… », « Tu fais trop de chichis… », « On n’avait pas tous ces gadgets… ». Derrière ses reproches se cachait peut-être sa propre fatigue, ses blessures jamais dites.
Les jours ont passé. J’ai appris à faire seule : porter Paul en écharpe pour cuisiner d’une main, dormir par tranches de vingt minutes, pleurer sous la douche sans bruit pour ne pas réveiller le bébé. Michael a fini par comprendre que non, le dîner ne serait pas prêt tous les soirs – et il a appris à faire cuire des pâtes.
Un matin de printemps, Françoise est revenue frapper à la porte. Elle tenait un petit sac de courses et un bouquet de pivoines.
— Je voulais voir Paul… Et toi aussi.
Elle avait l’air fatiguée, plus vieille soudain.
— Je ne suis pas très douée pour aider… Mais si tu veux qu’on sorte marcher toutes les deux avec le petit ?
J’ai accepté. On a marché longtemps en silence dans le parc du quartier. Elle a fini par dire :
— Je croyais bien faire… Mais c’est difficile d’être la mère d’une mère.
Je lui ai serré la main fort. Peut-être qu’on apprend toutes ensemble à être mères – chacune à sa façon.
Aujourd’hui encore, parfois seule avec Paul qui pleure ou Michael qui râle parce qu’il n’a plus de chemise propre, je repense à cette phrase : « Pas besoin d’aide, alors ! » Et je me demande : pourquoi est-ce si difficile de demander – ou d’offrir – l’aide dont on a vraiment besoin ? Est-ce qu’on saura un jour se comprendre entre générations ? Qu’en pensez-vous ?