Entre Ma Mère et Sa Sœur : L’Amour Qui M’a Blessée

« Tu n’es qu’une ingrate, Camille ! » La voix de ma mère résonne encore dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre le bord de la table, mes ongles s’enfonçant dans le bois. Devant moi, ma tante Sylvie esquisse ce sourire en coin que je connais trop bien, celui qu’elle réserve aux moments où elle sait qu’elle a gagné. Je sens mes joues brûler, la colère et la tristesse se mêlant dans ma gorge. Comment en sommes-nous arrivées là ?

Tout a commencé il y a six mois, dans notre petit appartement de Lyon. Ma mère, Hélène, m’a élevée seule après le départ de mon père. Nous étions un duo soudé, complices contre le monde. Mais tout a changé le jour où Sylvie, sa sœur cadette, est revenue d’Aix-en-Provence après son divorce. Elle avait besoin d’un toit, disait-elle. Ma mère n’a pas hésité une seconde à l’accueillir chez nous.

Au début, j’ai essayé d’être gentille. Mais Sylvie prenait de plus en plus de place. Elle critiquait tout : ma façon de m’habiller, mes études de lettres modernes (« Tu ferais mieux de faire du droit, comme ta cousine ! »), même mes amis. Ma mère riait à ses blagues, buvait ses paroles. Petit à petit, j’ai senti que je disparaissais.

Un soir, alors que je rentrais d’un partiel raté, j’ai surpris une conversation dans le salon. Sylvie disait à ma mère : « Tu sais, Camille ne te respecte pas. Elle te ment tout le temps. » J’ai failli entrer pour protester, mais je me suis figée. Ma mère a répondu : « Je sais… Je ne comprends pas ce qui lui arrive. » Mon cœur s’est brisé en mille morceaux.

Les semaines suivantes ont été un enfer. Sylvie s’est installée dans ma chambre sous prétexte qu’elle avait besoin de calme pour « se reconstruire ». J’ai été reléguée sur le canapé du salon. Mes affaires disparaissaient mystérieusement ou étaient déplacées. Un matin, je n’ai pas retrouvé mon ordinateur portable ; Sylvie l’avait « emprunté » pour chercher du travail.

Un dimanche matin, alors que je préparais le petit-déjeuner, Sylvie est entrée dans la cuisine :
— Tu pourrais faire un effort pour ta mère, non ?
— Je fais déjà tout ici ! ai-je répliqué.
— C’est ça… Toujours la victime.
Ma mère est arrivée à ce moment-là et m’a lancé ce regard froid qui me glaçait le sang :
— Camille, arrête de parler sur ce ton à ta tante !

J’ai eu envie de hurler. Mais j’ai ravaler mes larmes et je suis sortie en claquant la porte.

À la fac, mes notes ont chuté. Je n’arrivais plus à me concentrer. Mes amis me demandaient ce qui n’allait pas, mais j’avais honte d’avouer que chez moi, je n’étais plus la bienvenue.

Un soir d’avril, tout a explosé. Je venais d’apprendre que j’avais raté mon semestre. En rentrant, j’ai trouvé Sylvie assise à MA place à table, riant avec ma mère autour d’un verre de vin.
— Ah, voilà la star ! ironisa Sylvie.
— Qu’est-ce qu’il se passe ? ai-je demandé d’une voix blanche.
Ma mère s’est levée :
— Camille, il faut qu’on parle. Sylvie va rester ici encore quelques mois… et tu devrais peut-être envisager de prendre un studio étudiant.
J’ai cru que le sol s’ouvrait sous mes pieds.
— Tu me mets dehors ? Pour elle ?
Ma mère a baissé les yeux :
— Ce n’est pas ça… Mais tu es adulte maintenant.

Je suis sortie en courant sous la pluie battante. J’ai marché des heures dans les rues de Lyon sans savoir où aller. J’ai fini par appeler mon amie Chloé qui m’a hébergée quelques nuits.

Les jours suivants ont été flous. Je ne mangeais plus, je dormais mal. J’avais l’impression d’avoir tout perdu : ma maison, ma mère… même mon identité.

Un soir, Chloé m’a prise dans ses bras :
— Tu ne peux pas continuer comme ça. Tu dois lui parler.

J’ai rassemblé mon courage et je suis retournée chez moi. Sylvie m’a ouvert la porte avec un sourire triomphant.
— Tiens donc… Tu reviens ?
Je l’ai ignorée et suis allée trouver ma mère dans sa chambre.
— Maman… Pourquoi tu fais ça ? Pourquoi tu choisis toujours Sylvie ?
Elle a détourné le regard :
— Elle a besoin de moi… Elle est seule.
— Et moi ? Moi aussi j’ai besoin de toi !
Elle s’est mise à pleurer :
— Tu ne comprends pas… Avec ton père qui est parti, Sylvie est tout ce qui me reste de ma famille.

J’ai compris alors que je ne gagnerais jamais contre ce lien-là. J’ai rassemblé mes affaires en silence et suis partie sans me retourner.

Aujourd’hui, cela fait trois mois que je vis en colocation avec Chloé et deux autres étudiantes. J’essaie de reconstruire ma vie loin du poison familial. Parfois, je croise ma mère au marché ; elle baisse les yeux et accélère le pas. Je me demande si elle regrette… ou si elle pense encore avoir fait le bon choix.

Est-ce qu’on peut vraiment aimer deux personnes sans blesser l’une d’elles ? Est-ce que la famille doit toujours passer avant soi-même ? Je n’ai pas encore trouvé la réponse… Et vous, qu’en pensez-vous ?