Entre Deux Feux : Quand Ma Mère A Brisé Mon Cœur Pour Ma Sœur

« Tu comprends, Camille, c’est plus simple comme ça. »

La voix de ma mère résonne encore dans ma tête, froide et tranchante, alors que je serre les paquets vides dans mes mains. Nous sommes le 24 décembre, dans le salon de la maison familiale à Tours, et je viens de découvrir que les cadeaux que j’avais achetés pour mes enfants ont disparu du pied du sapin. À leur place, des boîtes colorées portant les noms de mes neveux, les enfants d’Élodie, ma sœur cadette.

Je me tourne vers ma mère, le cœur battant à tout rompre. « Maman, où sont les cadeaux pour Arthur et Zoé ? Ceux que j’ai emballés hier soir ? »

Elle évite mon regard, arrange une guirlande sur le sapin. « Écoute… Élodie n’avait rien prévu cette année. Elle traverse une période difficile avec Jérôme qui l’a quittée. Je ne voulais pas qu’elle se sente mal devant tout le monde. Alors… j’ai pensé que tes cadeaux feraient plaisir à ses petits. »

Je sens la colère monter, brûlante. « Mais maman, ce sont MES enfants ! Tu n’avais pas le droit… Tu sais combien Arthur attendait ce train électrique… Et Zoé avait choisi sa poupée avec moi… »

Ma mère soupire, lasse. « Tu dramatises toujours tout, Camille. Tes enfants sont petits, ils ne s’en souviendront même pas. Et puis, tu as toujours su t’en sortir toute seule. Élodie a besoin de soutien en ce moment. »

Je regarde mes enfants, assis sur le tapis, les yeux brillants d’incompréhension. Arthur serre son doudou contre lui, Zoé regarde sa cousine déballer la poupée qu’elle avait tant désirée. Mon cœur se brise.

Le repas du réveillon se déroule dans une tension glaciale. Élodie évite mon regard, consciente de la situation mais trop soulagée de voir ses enfants heureux pour dire un mot. Mon père tente de détendre l’atmosphère avec des blagues maladroites, mais personne ne rit vraiment.

Plus tard dans la soirée, je retrouve ma mère dans la cuisine. La colère a laissé place à une tristesse profonde.

« Pourquoi tu fais toujours passer Élodie avant moi ? Depuis qu’on est petites… Tu lui pardonnes tout, tu la protèges de tout… Et moi ? Je dois toujours être forte, me débrouiller seule… Tu ne vois pas que ça me fait mal ? Que ça fait mal à tes petits-enfants ? »

Ma mère s’arrête de couper la bûche de Noël. Elle pose le couteau et me regarde enfin.

« Tu crois que c’est facile pour moi ? J’essaie juste de maintenir la paix dans cette famille. Élodie est fragile, toi tu es solide… Je pensais que tu comprendrais. »

Je secoue la tête, les larmes aux yeux. « Non maman, ce n’est pas ça aimer ses enfants. Ce n’est pas ça être juste. Tu m’as volé un moment de bonheur avec mes enfants pour ménager Élodie… Tu as choisi ton camp. »

Le lendemain matin, je fais mes valises plus tôt que prévu. Arthur et Zoé sont silencieux sur la banquette arrière de la voiture. Sur l’autoroute du retour vers Nantes, je repense à tous ces Noëls où j’ai fait semblant de ne pas voir les préférences de ma mère pour Élodie : les félicitations exagérées pour ses moindres réussites, les excuses trouvées à chaque caprice, les cadeaux plus beaux sous le sapin.

Mon mari, François, m’accueille avec un regard inquiet.

« Ça s’est mal passé ? »

Je hoche la tête en silence. Les enfants montent dans leur chambre sans un mot.

Les jours passent et la blessure ne guérit pas. Je tente d’expliquer à Arthur pourquoi sa cousine a eu son train électrique.

« Mamie a fait une erreur, mon chéri… Mais papa et moi t’aimons très fort, tu sais ? »

Il me regarde avec ses grands yeux tristes et demande simplement : « Pourquoi mamie ne m’aime pas pareil que Hugo et Léa ? »

Je n’ai pas de réponse.

Les semaines suivantes, je reçois un message d’Élodie : « Désolée pour ce qui s’est passé… Je ne savais pas quoi faire. Maman m’a dit que tu comprendrais… »

Je lui réponds sèchement : « Comprendre quoi ? Que mes enfants passent après les tiens ? Que maman préfère toujours te protéger toi ? »

Le silence s’installe entre nous.

Un dimanche matin, ma mère m’appelle. Sa voix est hésitante.

« Camille… Je voudrais qu’on parle. Je me rends compte que j’ai blessé tes enfants… Je ne voulais pas ça. Mais je ne sais plus comment faire avec vous deux… »

Je respire profondément avant de répondre : « Il n’est jamais trop tard pour demander pardon à ses petits-enfants. Mais il va falloir que tu changes vraiment si tu veux qu’on revienne un jour fêter Noël chez toi. »

Depuis ce jour-là, rien n’est plus pareil entre nous. J’ai appris à poser des limites pour protéger mes enfants et moi-même. Mais chaque fête de famille ravive la blessure.

Parfois je me demande : est-ce qu’on peut vraiment réparer une famille quand l’amour semble toujours pencher du même côté ? Est-ce qu’un jour mes enfants sentiront qu’ils comptent autant que les autres aux yeux de leur grand-mère ?