Vivre de nouilles et d’eau : Mon combat pour les voir partir

« Tu comptes rester encore longtemps ici, Thomas ? » Ma voix tremble, mais je ne peux plus retenir ce qui bout en moi. Thomas, mon fils de 28 ans, lève à peine les yeux de son téléphone. « Bah, j’ai pas trouvé d’appart, Maman. Et puis ici, c’est pratique. »

Je serre la poignée de la casserole. L’odeur des nouilles instantanées me donne la nausée. Depuis que j’ai pris ma retraite anticipée – enfin, une sorte de retraite, car j’ai pris un congé sabbatique avant la date officielle – je pensais pouvoir souffler, voyager, m’occuper de moi. Mais non. La maison est pleine : Thomas dans l’ancienne chambre d’amis, Camille, ma fille de 25 ans, qui a ramené son copain Hugo depuis six mois. Même le chat semble fatigué de voir autant de monde.

Le soir, je m’enferme dans la salle de bains pour pleurer en silence. Je me sens coupable : ai-je raté quelque chose dans leur éducation ? Pourquoi n’ont-ils pas envie de voler de leurs propres ailes ?

Un matin, alors que je prépare du café – le dernier paquet avant la fin du mois – Camille débarque en peignoir. « Maman, t’as pas vu mon pull bleu ? »

Je respire un grand coup. « Camille, tu as 25 ans. Tu ne crois pas qu’il serait temps de chercher un appartement avec Hugo ? »

Elle me regarde comme si je venais de lui annoncer la fin du monde. « Mais on n’a pas assez d’argent ! Et puis ici, on est bien… »

Je n’en peux plus. Je vis au rythme de leurs horaires décalés, je fais les courses pour tout le monde alors que ma pension ne suffit même pas à payer l’électricité. Je mange des nouilles pour économiser, eux commandent des sushis sur mon compte Deliveroo.

Un soir, après une dispute à propos du linge (encore !), je claque la porte de ma chambre et j’appelle ma sœur, Hélène. « Je n’en peux plus. Ils ne partiront jamais… »

Hélène rit doucement. « Tu dois leur mettre un ultimatum, Françoise. Sinon tu vas finir vieille et ruinée avec tes enfants sur le dos. »

Cette nuit-là, je ne dors pas. Je repense à mon père qui disait toujours : « Les enfants doivent partir pour grandir. » J’ai voulu être une mère différente, plus présente… Ai-je été trop présente ?

Le lendemain matin, je convoque tout le monde dans le salon. Thomas râle : « Sérieux ? À 8h30 ? »

Je prends une grande inspiration : « J’ai besoin que vous partiez d’ici trois mois. Je vous aiderai à chercher un logement, mais je ne peux plus continuer comme ça. »

Silence glacial. Hugo regarde ses pieds. Camille éclate en sanglots : « Tu veux nous mettre à la rue ? »

Je sens mon cœur se serrer mais je tiens bon : « Non, mais j’ai besoin de retrouver ma vie. J’ai travaillé toute ma vie pour vous élever. Maintenant c’est à vous de prendre votre envol. »

Les jours suivants sont tendus. Thomas ne me parle plus. Camille claque les portes. Je me sens monstrueuse et soulagée à la fois.

Un soir, alors que je dîne seule (encore des nouilles), Thomas s’assied en face de moi. Il a l’air fatigué.

« Maman… Tu crois vraiment qu’on va y arriver ? »

Je prends sa main : « J’en suis sûre. Tu es plus fort que tu ne le crois. »

Petit à petit, ils commencent à chercher des annonces sur Leboncoin. Je les aide à remplir des dossiers CAF, à comprendre les garanties locatives.

Trois mois plus tard, la maison est vide. Je me promène dans le salon silencieux, un mélange d’angoisse et de fierté au ventre.

Camille m’appelle tous les soirs pour me demander comment faire cuire des pâtes ou payer une facture EDF.

Parfois je me demande si j’ai bien fait… Mais ce soir-là, en regardant la lune par la fenêtre, je me dis : « Est-ce qu’on doit toujours souffrir pour aimer ? Est-ce que l’amour maternel doit forcément rimer avec sacrifice ? »

Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?