Le Noël de Ruby : Un vœu pour toujours
« Pourquoi tu ne veux pas me garder ? » Ma voix tremblait dans la cuisine silencieuse, mes doigts serrant la feuille froissée que j’avais cachée sous mon oreiller. Claire s’est figée, la main suspendue au-dessus de la casserole de chocolat chaud. Julien, assis à la table, a posé son journal. Le silence a duré une éternité.
C’était le 23 décembre. La veille, j’avais glissé ma lettre au Père Noël sous mon oreiller, comme chaque année depuis que j’étais en famille d’accueil. Mais cette fois, je n’avais pas seulement demandé un ours en peluche ou une paire de baskets rouges comme celles de Camille à l’école. J’avais écrit : « Cher Père Noël, je voudrais une famille pour toujours. Je voudrais que Claire et Julien soient mes vrais parents. »
Je ne sais pas comment ils ont trouvé la lettre. Peut-être en changeant les draps ou en cherchant mon doudou perdu. Mais ce matin-là, ils l’avaient lue. Et maintenant, je les regardais, le cœur battant si fort que j’avais peur qu’il explose.
Claire s’est approchée, s’est accroupie à ma hauteur. « Ruby… Ce n’est pas qu’on ne veut pas te garder. C’est compliqué… »
Julien a soupiré, frottant ses yeux fatigués. « On t’aime beaucoup, tu sais. Mais il y a des règles, des dossiers… Ce n’est pas aussi simple que de le vouloir. »
J’ai senti les larmes monter. J’avais déjà changé trois fois de famille d’accueil. À chaque fois, on me disait que c’était temporaire, que mes vrais parents allaient peut-être revenir. Mais ils ne revenaient jamais.
Ce soir-là, je me suis enfermée dans ma chambre avec mon vieux nounours déchiré. J’ai entendu Claire pleurer dans le salon. Julien parlait à voix basse au téléphone : « Oui, elle a écrit ça… Je ne sais pas quoi faire… »
Le lendemain matin, la maison sentait la brioche chaude et le sapin. Mais l’ambiance était lourde. À midi, Claire m’a prise dans ses bras : « On va faire une promenade ? » Nous avons marché dans le parc gelé, les arbres couverts de givre. Elle m’a raconté comment elle avait grandi à Lyon, comment elle rêvait d’avoir une grande famille mais qu’elle ne pouvait pas avoir d’enfants.
« Tu sais, Ruby… Quand tu es arrivée chez nous, j’ai eu peur de m’attacher. J’ai eu peur qu’on te reprenne… Mais tu fais partie de nous maintenant. »
J’ai serré sa main si fort que mes doigts sont devenus blancs.
Le soir du réveillon, tout le monde est venu : Mamie Lucienne avec ses sablés, mon oncle Paul qui sentait le tabac froid, et même Camille avec ses baskets rouges. Mais je n’arrivais pas à sourire. Je guettais chaque regard de Claire et Julien.
Après le dîner, alors que tout le monde riait autour du feu, Julien s’est levé et a tapé sur son verre : « On a une annonce à faire… »
Mon cœur s’est arrêté.
« Ruby nous a fait un vœu très spécial cette année… Elle voudrait qu’on devienne sa famille pour toujours. On a beaucoup réfléchi… Et on veut lancer la procédure d’adoption. »
Un silence choqué a envahi la pièce. Mamie Lucienne a laissé tomber sa tasse. Camille m’a regardée avec de grands yeux ronds.
J’ai cru que je rêvais.
Claire s’est approchée et m’a prise dans ses bras. « Tu es notre fille maintenant, si tu veux bien de nous… »
J’ai éclaté en sanglots contre son pull doux.
Mais tout n’a pas été simple après cette annonce. Les semaines suivantes ont été remplies de rendez-vous à la mairie, d’entretiens avec l’assistante sociale, de papiers à remplir et de questions difficiles : « Pourquoi voulez-vous adopter Ruby ? Êtes-vous prêts à assumer les conséquences ? »
Parfois, j’entendais Claire pleurer dans la salle de bain. Julien rentrait tard du travail, épuisé par les démarches administratives et les regards des voisins : « Ils adoptent une gamine placée ? Ils sont fous… »
À l’école aussi, ce n’était pas facile. Camille m’a dit un jour : « Tu crois qu’ils vont t’aimer comme un vrai enfant ? » J’ai eu peur. Et si elle avait raison ?
Un soir de février, après un rendez-vous difficile avec l’assistante sociale, Claire s’est effondrée sur le canapé : « Et si on n’y arrivait pas ? Et si on n’était pas assez bien pour toi ? »
Je me suis assise près d’elle et j’ai pris sa main : « Moi non plus je ne suis pas parfaite… Mais je veux juste qu’on soit ensemble. »
Petit à petit, les choses se sont apaisées. Mamie Lucienne est venue plus souvent cuisiner avec moi. Julien m’a appris à faire du vélo sans les petites roues dans le parc du quartier. Claire m’a laissé choisir la couleur de ma nouvelle chambre – un rose pâle avec des étoiles phosphorescentes au plafond.
Le jour où le juge a prononcé l’adoption officielle, tout le monde était là. Même Camille avait fait un dessin : « Bienvenue dans ta vraie famille ! »
Je me souviens avoir serré la main du juge si fort que j’en avais mal aux doigts.
Ce soir-là, en rentrant à la maison, Claire m’a dit : « Tu sais Ruby, ce n’est pas le sang qui fait une famille… C’est l’amour qu’on se porte chaque jour. »
Aujourd’hui encore, parfois je me réveille en sursaut en pensant qu’on va me reprendre ce bonheur fragile. Mais chaque matin, quand je descends prendre mon chocolat chaud et que Claire me sourit en me disant « Bonjour ma fille », je sais que mon vœu s’est réalisé.
Est-ce que l’amour suffit pour construire une vraie famille ? Est-ce qu’on peut vraiment choisir ceux qui deviennent notre foyer ? Qu’en pensez-vous ?