J’ai cru qu’épouser à 60 ans serait un conte de fées, mais la réalité m’a brisée

« Tu vas vraiment faire ça, maman ? » La voix de Camille tremblait, oscillant entre la colère et la peur. Je me tenais devant elle, dans notre petit salon à Lyon, la robe de mariée encore suspendue à la porte de la chambre. J’avais soixante ans, et pour la première fois depuis des décennies, je croyais mériter un peu de bonheur. Mais dans ses yeux, je ne voyais que l’incompréhension.

Camille et moi, nous avions tout traversé ensemble : la mort de son père, mon licenciement à cinquante ans, les fins de mois difficiles. Je l’avais élevée seule, sacrifiant mes rêves pour qu’elle puisse poursuivre les siens. Et voilà qu’à l’aube de ma retraite, alors qu’elle venait de quitter le nid pour s’installer à Paris, j’avais rencontré Gérard lors d’un atelier d’écriture à la bibliothèque municipale. Il était veuf, doux, cultivé. Il m’a fait rire comme plus personne ne savait le faire.

Mais ce matin-là, alors que je m’apprêtais à dire « oui » à une nouvelle vie, Camille m’a lancé : « Tu ne vois pas qu’il profite de toi ? Il n’a jamais eu d’enfant, il ne comprend rien à notre histoire ! »

J’ai voulu la rassurer : « Gérard n’est pas ton père, mais il veut t’aimer comme sa propre fille. »

Elle a éclaté : « Je n’ai pas besoin d’un autre père ! J’ai besoin de toi, maman ! »

Le mariage a eu lieu malgré tout. Une cérémonie simple à la mairie du 7e arrondissement, quelques amis, ma sœur Hélène et son mari Jean-Pierre. Camille est venue, mais elle n’a pas souri une seule fois. Gérard m’a serrée contre lui en murmurant : « On va être heureux, tu verras. »

Au début, j’y ai cru. Nous avons emménagé ensemble dans son appartement lumineux près des quais du Rhône. Gérard aimait cuisiner pour moi, il me lisait des poèmes le soir. Mais très vite, les fissures sont apparues. Il voulait organiser nos journées à la minute près : marche nordique le matin, sudoku après le déjeuner, visites chez ses amis le week-end. Moi qui avais rêvé de liberté après tant d’années de contraintes, je me retrouvais prisonnière d’une routine qui n’était pas la mienne.

Camille appelait de moins en moins. Elle disait être débordée par son travail d’infirmière à l’hôpital Saint-Joseph. Mais je sentais qu’elle m’en voulait. Un soir, elle a fini par craquer au téléphone : « Tu as refait ta vie sans moi. J’ai l’impression d’avoir perdu ma mère. »

Je me suis effondrée sur le canapé. Gérard est arrivé avec deux tasses de tisane et a tenté de me consoler : « Elle s’habituera. Les enfants sont égoïstes parfois… » Mais il ne comprenait pas que Camille était tout ce que j’avais eu pendant si longtemps.

Les mois ont passé. Gérard est devenu jaloux de mes rares moments avec Camille. Il critiquait sa façon de vivre, ses choix professionnels : « Elle travaille trop, elle devrait penser à elle… » Il ne voyait pas que c’était sa façon à elle d’exister.

Un dimanche d’automne, Camille est venue déjeuner. L’ambiance était tendue dès le début. Gérard a lancé : « Alors Camille, toujours célibataire ? Tu sais, à ton âge… »

Elle a posé sa fourchette avec fracas : « Je préfère être seule que mal accompagnée ! »

Je n’ai pas su quoi dire. J’étais déchirée entre eux deux.

Après son départ précipité, Gérard m’a reproché mon manque de fermeté : « Tu dois lui poser des limites ! Elle ne peut pas te manipuler ainsi ! »

Mais comment poser des limites à son propre enfant ? Comment choisir entre l’homme qui partage désormais mon quotidien et la fille pour qui j’ai tout sacrifié ?

La solitude s’est installée insidieusement. Gérard et moi ne faisions plus l’amour ; il s’endormait devant la télévision pendant que je relisais les vieux messages de Camille sur mon portable. Parfois, je me surprenais à regretter ma vie d’avant : nos soirées pizza devant un film, nos disputes pour un rien mais toujours suivies d’un fou rire.

Un soir d’hiver, alors que la neige recouvrait les toits de Lyon, j’ai reçu un message bref : « Je pars en mission humanitaire au Sénégal pour six mois. Prends soin de toi. Camille. »

J’ai pleuré toute la nuit sans oser réveiller Gérard.

Aujourd’hui, cela fait un an que Camille est partie. Gérard parle déjà de vendre l’appartement pour s’installer en Provence. Je me sens étrangère dans ma propre vie.

Ai-je eu tort de croire qu’on pouvait recommencer à aimer à soixante ans ? Peut-on vraiment être heureux si ceux qu’on aime le plus ne partagent pas notre bonheur ?

Et vous… auriez-vous fait un autre choix à ma place ?